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il est miséricordieux pour les faiblesses de la chair et compatissant pour les misères humaines. Dans la Rome pontificale, nous dit M. Gabelli, il était de tradition parmi les puissans de la terre comme parmi les princes de l’église de jouir des douceurs et des pompes d’une grande existence en rachetant ses joies par ses charités et ses dons.

L’argent qui affluait de toutes parts dans la ville éternelle ne servait pas seulement à bâtir des palais, à enrichir d’incomparables galeries, à décorer des villas princières ouvertes à tout le monde. Il servait aussi à doter des fondations pieuses, à soutenir des familles déchues ou ruinées, à procurer des ressources ou des plaisirs aux petits, à soulager le pauvre et l’infirme. Aussi les Romains eurent-ils de durs momens à passer dans les années qui suivirent l’abolition du pouvoir temporel. La source des subventions et des grâces était tarie. Adieu les distributions à la porte des couvens et des palais! Adieu les solennités magnifiques, dont vivaient beaucoup de petites gens! La diminution des revenus, la désastreuse concurrence faite au commerce local par les nouveaux arrivans, le renchérissement des denrées et des loyers, les vieux impôts triplés, quadruplés, des taxes nouvelles s’ajoutant aux anciennes, tout faisait regretter passionnément à ce peuple affranchi les abus odieux ou ridicules dont on l’avait délivré.

Un libéral piémontais avait dit à M. de Gramont : « Les Romains ne nous voient pas de bon œil ; ils préfèrent leur repos, leurs habitudes et leur pape. Nous devons créer à Rome une population à nous, ou nous n’arriverons à rien. » C’est précisément ce qu’on a fait. Rome devenue capitale d’un grand royaume a été renouvelée jusque dans ses dernières couches par les émigrans accourus de tous les coins de l’Italie pour coloniser l’Esquilin. Les vieux Romains les traitaient d’aventuriers, de vagabonds, de buzzuri. Ils ont fini par les accepter; ils ont l’esprit souple et le talent philosophique de se faire à tout. Aucune ville n’a subi en si peu d’années un si prodigieux changement: la ville des papes n’est plus aux papes. Dès le 25 janvier 1871, le prince héritier de la maison de Savoie et la princesse Marguerite venaient s’installer au Quirinal, où le roi Victor-Emmanuel les rejoignait six mois plus tard. et le spirituel mystique du Vatican s’écriait avec un sourire amer : « Elle avait dit qu’elle ne coucherait jamais dans le lit du pape, elle y couche. » Quelque temps après, il disait à un Polonais de ma connaissance : « Garibaldi vient d’arriver; il nous manquait. Si j’avais le plaisir de le voir, je lui dirais : Mon cher, vous êtes chez vous... Eh ! qui donc avait prétendu que nous ne pourrions pas tenir deux à Rome! Nous y sommes trois. »


G. VALBERT.