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passe par la voie du département est affaibli à un point dont vous n’avez pas idée. Ce n’est pas en un jour qu’on peut changer des habitudes, des traditions de vingt ans. La dernière dépêche que j’ai reçue du ministère se borne, au sujet de la question prussienne, à la phrase banale que voici : « Il importe à la paix de l’Europe que le cabinet de Berlin ne méconnaisse pas les considérations que vous lui avez présentées. « Quant à nos armemens de l’Est, pas un mot. Supposez à Berlin un ministre qui ne soit pas pénétré de votre esprit et qui n’ait pas de résolution dans le caractère, voilà un homme désorienté qui ne saura que dire; supposez que ce soit un de nos diplomates habituels, que fera-t-il? Il dira, quand on lui parlera de nos armemens, qu’il ne faut pas s’en inquiéter, que c’est pour satisfaire à l’opinion publique en France, et toute cette belle situation sera dénaturée, compromise.

« Heureusement que cela n’a pas eu lieu ici. Il n’y a pas eu d’équivoques. J’ai parlé haut et ferme; j’ai repoussé toutes les insinuations de médiation et d’alliance; chacun sait maintenant qu’il ne faut plus jouer avec la France et que vous êtes aussi ferme que sage. Quant à ma situation personnelle, ne vous en préoccupez pas. Après avoir été pendant quinze jours l’objet des colères et des fureurs de la cour, de la société et du corps diplomatique, je vois aujourd’hui tout le monde poli et gracieux. C’est le triomphe de votre bonne et énergique politique. »

Pour justifier son attitude si peu conforme à ses instructions, M. de Persigny se faisait modeste ; il se plaisait à faire remonter ce qu’il appelait « le triomphe de notre politique » au président. Il lui attribuait le mérite de s’être assuré la reconnaissance de la Suisse en faisant reculer la Prusse. Il voyait dans ce résultat tout un avenir, car, disait-il, si la guerre venait à éclater, la Suisse nous assurerait une position stratégique de « premier ordre. « Mais, après ce fugitif accès d’humilité, il revenait aussitôt à sa glorification personnelle. Il priait le prince de faire copier ses dépêches et de les soumettre au général Changarnier, au comte Molé et à M. Carlier, pour bien leur montrer la crânerie imprimée à notre politique extérieure. Il lui demandait aussi de ne pas laisser dénaturer notre rôle au dehors par nos journaux. « La presse prussienne, disait-il, est admirablement dirigée ; elle est très habile à travestir, au profit de son gouvernement, les questions étrangères. C’est ainsi que la Deutsche Reform, un organe officieux, s’applique à séparer le bonapartisme de la France. Elle croit à la force des vieux partis et voudrait vous faire écraser par les factions. Il serait important de faire connaître au public l’état des choses. Il n’y a pas d’inconvénient à dire e aujourd’hui que vous avez voulu soutenir l’Allemagne.