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Le prince-président n’était pas heureux dans le choix de ses envoyés; qu’ils fussent officieux ou officiels, ils prenaient le contre-pied de sa politique. M. Rio devait atténuer à Erfurt le mal fait à Berlin par M. de Persigny, et il l’aggravait sous l’influence ultramontaine et légitimiste de l’Assemblée législative. Si Louis Napoléon était mal servi, il le devait à son esprit à la fois systématique et irrésolu et surtout à son insouciance fataliste dans le choix de ses instrumens.

Avant de quitter le poste où si gratuitement il s’était fait tant de mauvais sang, M. de Persigny se donna la satisfaction de récriminer contre le général de La Hitte, qui, la question suisse étant définitivement réglée par un complet recul de la Prusse, s’était permis de mettre en doute les intentions agressives du cabinet de Berlin et de regretter la scène faite au comte de Brandebourg. « Il est fort commode, disait-il, aujourd’hui que le différend n’a plus de portée, de dire que la Prusse n’a jamais eu l’intention d’agir sans nous et qu’il eût suffi de quelques observations pour la faire renoncer à toute idée d’intervention. Il est très facile surtout de relever quelques exagérations de langage et de subordonner le jugement d’une conduite qui a réussi, à la considération de quelques paroles imprudentes. Je m’attendais à ces reproches; mais, comme j’ai le sentiment profond d’avoir fait mon devoir et rempli mes véritables instructions, je crois pouvoir les supporter sans me plaindre et sans m’en préoccuper. Mais si quelque exagération de langage dans ma dépêche a pu vous donner l’idée d’une scène de menaces et de hauteurs injustifiables, la conversation elle-même n’en a eu en aucune manière le caractère. Ma dépêche n’était que le squelette d’un entretien de deux heures; toute la partie philosophique, toute la partie des précautions oratoires, des politesses de langage, des réserves des personnes devait être naturellement rejetée de la rédaction, sous peine d’écrire un volume. Tout ceci est tellement élémentaire que je suis étonné d’avoir besoin de le dire.

« Quant à la situation elle-même, la voici en peu de mots. La France, après avoir pris une altitude à laquelle on n’était plus habitué, après avoir fait passer dans tous les esprits la conviction de sa force et de sa résolution, après avoir mis à découvert les secrets de la faiblesse de ses voisins, après avoir dissipé les préjugés amoncelés contre elle, la France, dis-je, est ici, malgré ses embarras intérieurs, dont, au reste, on prévoit le terme prochain, dans la plus haute situation, car elle est courtisée par toutes les puissances et elle apparaît comme l’arbitre futur du grand débat qui agite l’Europe. Le moment approche où elle aura, en effet, un grand rôle à jouer. C’est alors qu’il sera permis de dire si la manière dont