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comme il nous plaira. » L’Américaine se marie comme il lui plaît ; libre dans son choix, elle y est, le plus souvent, fidèle, et beaucoup savent être, à la fois, le plaisir et l’honneur de leur maison.

Mais tout d’abord, et c’est par là qu’elle choque le plus nos idées reçues, elle est sa « propre maman, » en ce sens que c’est à elle à se garder, à veiller sur elle-même, à agir avec discernement. De bonne heure en contact avec des compagnons de son âge, son imagination s’est assagie ; pas d’envolées dans un monde mystérieux ; des types vivans et non plus d’invraisemblables héros ; les mirages trompeurs remplacés par une prosaïque réalité ; le bon sens supplantant les poétiques illusions ; la clairvoyance se substituant aux vagues rêveries et aux mystiques élans. La flirtation, qui est à l’amour ce que la préface est au livre, à la passion ce que l’escrime est au duel, achève ce que l’éducation commune a commencé. Elle en use avec la dextérité de son sexe, avec la confiance que lui donne le respect qu’elle inspire, avec la sagacité d’une précoce expérience et la conviction que de l’usage qu’elle en fera et du choix auquel elle s’arrêtera dépendra le bonheur de sa vie. Ce choix, nul ne le lui dicte ; elle en a la pleine responsabilité, et dès sa jeunesse on l’y a préparée. Habituée aux hommages des hommes, leurs complimens ne sont pas pour lui tourner la tête ; elle a le sens pratique de la vie, elle sait ce qu’elle en peut attendre et ce qu’elle veut. Dans ces têtes mutines et que l’on croit évaporées, il y a plus de diplomatie qu’on ne soupçonne, un cœur plus calme, une nature plus rassise que les apparences ne le laisseraient supposer.

Puis, et par opposition, les qualités qui distinguent l’Américain sont rarement de celles qui entraînent et séduisent à première vue. Froids par tempérament, réservés par instinct, travailleurs infatigables, ambitieux de fortune et de pouvoir, de bonne heure toutes leurs facultés sont concentrées sur un but unique : réussir. Leur ambition est sans limites, comme le champ dans lequel elle s’exerce. Pas un d’eux, si humble que soit son point de départ, qui ne puisse aspirer au rang le plus élevé, prétendre à la plus haute opulence, Cultivateur ou bûcheron, ouvrier ou fermier, il peut devenir représentant, sénateur, ambassadeur, ministre d’état, président de la république ; dans les professions libérales, rien ne lui barre la route, ne l’oblige à un stage long et coûteux ; pas de conditions d’avancement, pas de catégories sociales dans lesquelles il se sente enfermé, confiné, qui paralysent son effort et ralentissent son élan. Le niveau égalitaire de l’éducation ne laisse à ses concurrens d’autre avantage sur lui que la valeur intellectuelle particulière à chacun d’eux ; la supériorité appartient moins au savoir qu’à l’énergie et à la volonté.