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d’ordinaire ; d’autres préoccupations, d’autres soins vont l’absorber, sa vie de plaisirs est finie, la vie sérieuse avec ses responsabilités et ses devoirs commence.


IV.

Autant l’existence de la jeune fille est en dehors, au grand jour et en plein jour, autant, une fois mariée, le silence se fait autour d’elle et sur elle. Sauf quelques rares exceptions que leur colossale fortune, leurs réceptions brillantes, leur luxe, leurs toilettes ou la haute position de leurs maris désignent à l’attention publique, elle passe sans transition de la notoriété des salons au recueillement de la vie conjugale. Météore brillant, elle a tracé un sillon lumineux ; l’obscurité s’est faite et, dans le sanctuaire où s’opère l’évolution décisive qui convertit en matrone assagie, en femme sérieuse et posée, la coquette rieuse et mutine, les parens, les amis seuls sont admis. L’étude psychologique de la femme américaine est aussi complexe que celle de la jeune fille l’est peu ; en dehors de l’observation personnelle, les sources d’information font défaut. N’attendez pas des Américains ces confidences à demi voilées, ces remarques fines, mais indiscrètes qui éclairent la vie intime, en révèlent les déceptions ou les joies. Ils sont muets ; affaire de réserve et de tempérament anglo-saxon. Muet aussi le roman, qui s’arrête au seuil de la chambre nuptiale et se termine quand, après nombre de péripéties, le héros épouse l’héroïne. Si parfois il se prolonge au-delà, si, à l’imitation du nôtre, il entreprend de vous initier aux complications de l’existence à deux, méfiez-vous : c’est un guide d’autant moins sûr qu’il est presque exclusivement entre des mains féminines, appliquées à peindre leurs personnages non comme ils sont, mais comme ils devraient être, à prêcher une thèse, non à écrire une histoire vécue. D’instinct, elles s’étudient à ne trahir aucune de leurs impressions personnelles, à éviter tout ce qui, par la fidélité des détails, permettrait de reconnaître les individualités enjeu, les traits, le rôle et l’influence de chacune d’elles.

Aussi, le roman américain est-il rarement un décalque exact de la vie, une empreinte de la réalité, mais bien plutôt une œuvre d’imagination faite pour plaire, distraire ou convaincre, et quand parfois il s’ingénie à être vrai, son effort se concentre sur les comparses et les accessoires, laissant dans une ombre discrète et voulue les sentimens intimes, les impressions et les sensations du personnage principal, qui lui-même tient la plume.

Puis les mémoires sont rares, rares aussi les autobiographies. Depuis quelques années, cependant, les éditeurs américains entrent