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se lie par un engagement et attend le dénoûment de son roman dans de longues fiançailles. Il en est d’interminables. Celles d’un de mes amis, officier de marine, se prolongèrent dix-sept années. Pas une heure de défaillance chez lui ni chez elle. Ils furent constans en dépit des longues séparations, de ses lointains voyages en Océanie, en Asie, en Europe, des correspondances interrompues, des remontrances des parens, des tentations mondaines. C’est un cas exceptionnel, mais des fiançailles de plusieurs années ne sont pas rares et témoignent éloquemment en faveur d’un choix fait à bon escient.

L’absence de dot pour la femme exige, du côté de l’homme, une situation de fortune qu’il ne possède pas toujours à l’âge où il se marie d’ordinaire. Le plus souvent avocat, médecin ou négociant débutant dans sa carrière, il est tenu à calculer ses dépenses, à équilibrer son budget avec soin, A New-York et dans les grandes villes de l’Union, la vie matérielle est coûteuse, et si l’on gagne largement, on dépense de même. Les loyers sont chers, les bons domestiques sont introuvables à des prix modestes, l’installation onéreuse. On s’arrête donc souvent à la combinaison la plus pratique, à celle qui permet au jeune couple de chiffrer exactement sa dépense, calculée sur ses revenus, et d’écarter tout aléa. On s’installe à l’hôtel. Il en est de tout ordre et de tout prix, aménagés à cet effet, en vue de cette clientèle spéciale. On y trouve, suivant le prix, un appartement plus ou moins complet, salon, chambre à coucher, salle de bain et cabinet de toilette, la table et le service, moyennant une somme déterminée, par jour ou par mois.

Pour qui connaît les hôtels américains, leurs somptueux décors, leurs riches salons de réception, fumoir, salles de lecture, Ladies parlors, leurs halls spacieux, les vastes escaliers et les moelleux tapis, les immenses corridors brillamment éclairés, les salles à manger et leur luxe de table, de linge et de cristaux, il est incontestable que l’on peut, à un prix relativement modère, s’y donner le cadre d’une vie large, le confort d’un millionnaire sans l’être, l’élégance et la recherche que permettrait seule une grande fortune. Que ce cadre banal répugne à nos goûts, qu’il déconcerte nos idées de vie intime et de bonheur discret, cela n’est pas douteux ; mais il faut tenir compte d’idées autres et d’incontestables compensations. Nous nous figurons mal une jeune femme dans ce milieu ; mais dans ce milieu elle est et reste souveraine. On l’y entoure d’attentions et de prévenances. Les unes et les autres sont poussées loin, mais l’accoutumance l’a familiarisée. Sur le bateau à vapeur qui sillonne l’un des grands fleuves des États-Unis, je me rencontrai un jour avec un couple marié le matin même et parlant