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fait et continuera les mêmes fautes et marchera aussi aveuglément aux mêmes catastrophes.

« Eh bien! il y a des préjugés dans les gouvernemens comme dans les individus, et les plus fortes têtes peuvent à peine s’en défendre. J’en suis maintenant si fort convaincu que j’en frémis pour l’Europe; car, quelque regret qu’on ait des fautes commises, on les recommencera contre nous ; nous nous trouverons placés dans la même impasse et nous aurons à choisir un jour entre ces deux alternatives : ou de nous abîmer dans la boue des barricades, ou de lancer un cri de guerre terrible qui retentira jusqu’aux extrémités du monde.

« On me fait beaucoup de belles promesses ; on me parle de vous avec grande estime; on exalte vos services rendus à la cause de l’ordre; mais je m’aperçois que ce langage n’est autre que celui des légitimistes en France, qui honorent votre personne et votre caractère, mais comme l’on ferait d’un bon et loyal intendant qui remplace momentanément le maître. Ici c’est le comte de Paris qui a les affections de la famille royale, parce que c’est la Prusse qui a fait le mariage du duc d’Orléans, et qu’à l’étranger, en général, on considère le comte de Paris comme l’héritier naturel du comte de Chambord, sans se douter de l’abîme qui sépare les deux partis, sans comprendre la rivalité qui subsiste entre les deux camps comme l’expression de l’éternelle lutte entre la bourgeoisie et la noblesse. Je vous ai déjà dit que, plusieurs fois dans la famille royale, on m’avait exprimé plus ou moins directement des vœux en faveur de l’empire, mais je sais maintenant à quoi m’en tenir sur ces caresses qu’on adressait au prince président. Ce n’est pas qu’on ne préférât l’empire à la république, mais on se flatte qu’attaqué, après l’événement, par les royalistes et les républicains coalisés, vous ne pourrez vous maintenir, et que la royauté sera fatalement restaurée. »

Ces réflexions, judicieuses sans doute, mais trop chagrines, n’avaient aucune portée pratique. On connaissait de reste, à Paris, les préventions de la cour de Prusse ; ce n’était pas pour les relever aigrement que M. de Persigny avait été envoyé à Berlin, mais pour les atténuer par la persuasion de son langage, par l’habileté de sa diplomatie. S’il avait eu l’expérience des cours et le dégagement d’esprit que donne le maniement des affaires, il n’eût pas provoqué à plaisir des discussions oiseuses, déplaisantes, sur la forme de notre gouvernement, dans un milieu où les souvenirs amers du premier empire étaient toujours vivans. Mais, possédé par l’idée napoléonienne, il faisait de l’apostolat. Il avait fait des prosélytes dans les casernes en s’adressant au chauvinisme; il espérait en