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corps, et qui, introduites par ce stratagème ingénieux, purent être gratifiées les semaines suivantes des mêmes emplois que les anciens magistrats.

De sorte qu’entre tous les projets de jurisconsultes et d’hommes d’état des partis les plus divers : projet Martel, Keller, en 1870, projet Arago en 1871, projet Bérenger, 1872, projets Delsol, Depeyre, Dufaure, Jules Favre, Cazot, etc.. qui tous ont, avec plus ou moins de bonheur, cherché les moyens de soustraire le juge à la domination du pouvoir exécutif, ou d’améliorer l’administration de la justice, aucun n’a été adopté, aucun n’a été discuté sérieusement, et l’unique réforme qui ait été faite, — la diminution du nombre des magistrats, — a été accompagnée d’une désorganisation, d’un acte de violence. Et la réforme n’a passé qu’afin de donner couleur et occasion à l’acte de violence, et il semble ainsi que, si l’on n’avait pas tenu à désorganiser d’une main, on n’aurait jamais sans doute réformé de l’autre.

Le système préconisé par tous les amis de la liberté, sans distinction de nuances, pour libérer le pouvoir judiciaire, consiste à enchaîner le pouvoir exécutif, à restreindre ses choix par des présentations obligatoires, à l’enfermer dans des conditions d’ancienneté ou de capacité, à lui enlever même en totalité ou en partie le droit de nomination des magistrats pour le confier à la chambre des députés, aux conseils départementaux, aux avocats, notaires, avoués et aux tribunaux eux-mêmes. Soumettre l’entrée ou l’avancement dans le corps judiciaire à des règles légales dont nul ne puisse s’écarter serait à coup sûr un progrès notable ; c’est ce que nous avons fait pour l’armée, pour la marine, pour les pouls et chaussées, et c’est en quoi ces institutions puisent leur force et leur honneur. Où en seraient-elles aujourd’hui si les gouvernemens contemporains avaient procédé à leur égard comme la Convention envers ses troupes improvisées ; si l’on voyait, à chaque révolution, destituer les colonels ou les ingénieurs comme les préfets et les procureurs de la république ? L’extrême stabilité engendre la routine, l’extrême variabilité engendre l’anarchie ; de ces deux maux ne voit-on pas quel est le moindre et celui qu’il convient de préférer ? Admettre les assemblées électives locales à participer, sous une forme quelconque, au choix des magistrats, ce serait donner à ceux-ci d’autres maîtres et non pas les affranchir. Le seul procédé vraiment pratique, c’est d’abandonner à la justice elle-même le soin de recruter ses représentans, de la rendre maîtresse souveraine de sa hiérarchie : la cour de cassation nommant ses membres au fur et à mesure des vacances, et les choisissant partie dans les cours d’appel, partie dans le barreau, les facultés de