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me l’avez dit, nous n’avons pas à nous mêler, et sur laquelle il est de notre intérêt de ne pas nous engager. « Il est permis de croire que le président ne comprit pas grand’chose au plan de son envoyé, bien qu’il eût soin de le compléter par un long et filandreux exposé de toute la question danoise ; car, en 1854, lors de l’entrevue de Boulogne, le prince Albert écrivait à la reine Victoria : « J’ai dû expliquer à l’empereur l’affaire des duchés de l’Elbe, il m’a avoué n’en pas connaître le premier mot. »

Le général Ducos de La Hitte, placé à la tête du département des affaires étrangères, avait à tenir compte des sentimens de l’assemblée législative, opposée à toute ingérence dans les affaires allemandes, plus que des visées secrètes du prince président. Il était loin d’approuver les déviations que notre représentant à Berlin imprimait à notre politique extérieure en soulevant et en tranchant, selon les caprices de son imagination, toutes les questions. Il le voyait avec déplaisir sortir à tout propos de la réserve que lui commandaient ses instructions et faire inopportunément des professions de foi compromettantes tantôt au gouvernement prussien, tantôt aux envoyés des petites cours allemandes. Aussi, soucieux de conserver intacte l’action de la France, et sous l’inspiration des bureaux du département, interprètes fidèles et consciencieux de nos traditions, lui faisait-il entendre dans la forme la plus courtoise que, si la patience n’était pas toujours aisée, elle s’imposait parfois à la diplomatie. « Ce que nous avons à faire pour le moment, écrivait-il à la date du 9 mars, c’est de nous renfermer dans une grande réserve de langage, de protester que nous voulons rester étrangers aux débats intérieurs de l’Allemagne tant que les stipulations des traités et l’équilibre européen ne seront pas compromis ; de témoigner, en termes généraux, une vive sympathie pour les droits et l’indépendance des états secondaires. Une attitude aussi mesurée est sans doute difficile à maintenir contre l’empressement des parties intéressées qui voudraient obtenir de nous quelque chose de plus décisif ; elle exige beaucoup de patience ; les avantages qu’on peut s’en promettre sont incertains, éloignés. Mais, en suivant une autre ligne, on serait presque certain de tomber dans de graves inconvéniens. S’abstenir de toute action, de toute démonstration compromettante, attendre un avenir dont les chances sont toujours plus ou moins hypothétiques, c’est bien souvent le rôle de la diplomatie ; c’est le seul que, pour le moment, nous puissions raisonnablement jouer en Allemagne. »

La leçon était finalement donnée, mais elle s’adressait, en pure Perte, à un agent indiscipliné qui, fort de son intimité avec le chef de l’état, était plus disposé à donner des ordres qu’à en recevoir.

Envoyé à Berlin en mission extraordinaire et temporaire, car il