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de parler dans un procès qu’il aura instruit comme rapporteur, et de déposer des conclusions contraires à l’opinion qu’il s’est faite de la question. Pour le suppléer comme juge, on appellera à siéger des conseillers-généraux ; la loi autorise cette adjonction, d’ailleurs fréquente, par laquelle des médecins, des manufacturiers, des rentiers quelconques, engagés dans la politique militante, peuvent se trouver en majorité dans un conseil de préfecture. Rœderer, défendant sous le consulat, en qualité d’orateur du gouvernement, la création de ces tribunaux administratifs, insistait sur la nécessité de « ne pas permettre que les parties soient jugées sur des rapports et avis de bureaux. » Les rapports et avis de bureaux sont au contraire et seront longtemps encore, si l’on maintient le système actuel, la cause déterminante de jugemens qui étonnent l’opinion publique, irritent le contribuable et font grossir démesurément le nombre des appels portés devant le conseil d’état. Ces appels augmentent dans une proportion assez forte, pour que l’avant-dernier ministre de la justice ait dû demander au parlement la création d’une section supplémentaire du contentieux. « La nécessité, disait-il, en est incontestable ; le nombre des affaires arriérées, qui est de près de 3,000, atteindrait 4,900 cette année si la nouvelle section n’était pas créée. » Depuis lors, les justiciables peuvent être envoyés, soit à la section nouvelle du contentieux qui se compose de trois membres, soit à l’ancienne qui en compte sept, soit à l’assemblée générale du conseil d’état. Une pareille incertitude de juridiction est-elle admissible ?

Pénétrer dans le néant pompeux des sections administratives du conseil d’état m’entraînerait en dehors du présent sujet. Chacun sait que ce rouage ancien sert à fort peu de chose depuis la chute de l’empire. La troisième république s’est payé un conseil d’état, parce qu’il est de tradition qu’un gouvernement qui se respecte entretienne une institution de ce genre ; elle fait partie de « l’état de maison » auquel le pays est habitué ; mais, de par la constitution et les pratiques parlementaires, le conseil ne fait plus que mâcher à vide les dossiers qui traversent sans profit ses portefeuilles et ses cartons. Décret rendu en conseil d’état est pour le ministre, ce qu’est pour le préfet l’arrêté pris en conseil de préfecture, c’est-à-dire rien de plus que le décret ou l’arrêté simple. Aux trois sections que les pouvoirs exécutif et législatif laissaient déjà s’atrophier dans l’inaction, on en a ajouté deux autres, portant le nombre des conseillera de 18 à 26, multipliant les maîtres des requêtes, les auditeurs, — et par suite la dépense, — à l’avenant ; mais les législateurs et les administrateurs ont continué à faire preuve de la même gloutonnerie d’attributions, et s’ils posent à ce corps