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lorsque l’intéressé n’avait pas de quoi se faire exécuter à ses frais, des notes qui ne s’élevaient pas à moins de 300 ou de 400 livres, lesquelles, au pouvoir actuel de l’argent, correspondent environ à 2,000 francs. Tout en diminuant ses dépenses, l’État pourrait augmenter ses recettes judiciaires : le renchérissement du prix de la vie, depuis les premières années de ce siècle où nos codes lurent promulgués, a rendu insignifiantes des amendes qui, dans le principe, ont paru assez fortes ; il est des cas où les pénalités, même récemment édictées, sont trop modestes. Ainsi, en matière de diffamation et d’injures par la voie de la presse, les condamnations pécuniaires laissent à peu près intacte la bourse de ceux qui commettent ces délits. Cependant une presse tout à fait libre ne doit pas aller sans une répression tout à fait dure, comme en Angleterre ou en Amérique, sous peine de voir s’établir entre ces deux catégories de citoyens : les journalistes et les non-journalistes, une inégalité fâcheuse.


VII

Celui qui jettera un coup d’œil sur le budget du ministère de la justice sera naturellement frappé de la disproportion de deux chapitres qui se suivent : les tribunaux de première instance figurent pour 11.300,000 francs, les tribunaux de commerce pour 180,000 francs seulement. Or les tribunaux de commerce jugent 237,000 affaires par an, et les tribunaux civils n’en jugent que 138,000. Il y a ainsi deux sortes de juridictions en France : l’une qui ne coûte proprement rien à la nation, l’autre qui lui revient assez cher. Cette dualité est déjà passablement singulière, mais ceci ne l’est pas moins : par l’organisation de la procédure, dans ces tribunaux de marchands qui n’imposent au trésor aucun sacrifice, la justice est rendue presque gratuitement aux parties, et de plus elle leur est rendue très vite, tandis que, dans les tribunaux dits ordinaires, auxquels la caisse publique sert une rente de 11 millions et demi, les particuliers n’obtiennent de sentences que lentement et à prix d’or. Les usages qui nous régissent sont tellement bizarres que las formalités obligatoires dans l’une de ces juridictions, — le ministère des avoués par exemple, — sont sévèrement interdites dans l’autre.

Et cependant ces deux juridictions se valent ; elles jugent aussi bien l’une que l’autre. C’est l’opinion des plaideurs, c’est aussi l’opinion des cours supérieures ; en voici la preuve : « Les jugemens en premier ressort, dit le compte-rendu officiel, sont frappés d’appel dix fois sur cent, en matière civile comme en matière commerciale ;