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soit dans la situation et dans l’esprit des artistes, soit dans les habitudes et dans le goût du public.

Peu d’exposans en 1789, cela va sans dire, puisqu’il fallait être de l’Académie, membre titulaire ou tout au moins agréé. Il est vrai que l’Académie est fort ouverte ; elle admet les femmes, reçoit les pensionnaires de Rome presque à leur arrivée, n’est pas limitée comme nombre. On y conquiert ensuite ses grades comme au régiment, par des faits d’armes ; il y a les académiciens simples et les officiers ; on commence par être adjoint à professeur, puis professeur, puis recteur. Le livret suit l’ordre hiérarchique. En 1789, il y avait donc 76 exposans et 350 ouvrages. En 1889, nous avons 3,000 exposans au moins et 5, 810 ouvrages. Les amateurs, les apprentis, les étrangers, tout le monde expose ; les artistes de hasard ou du dehors constituent la majorité, les œuvres médiocres ou inutiles forment le fond. La diversité du goût, si marquée pour les façons de peindre, n’est pas aussi grande qu’on le croirait pour le choix des sujets. En 1789, les personnages antiques, grecs ou romains, dominaient sans doute dans les tableaux de grande dimension : David expose alors ses Licteurs rapportant à Brutus les corps de ses fils et les Amours de Paris et Hélène, Callet les Fêtes de Cérès, modèle de tapisserie pour les Gobelins, Vincent son Zeuxis choisissant pour modèles les plus belles filles de Crotone, Peyron la Mort de Socrate. Une large part est faite pourtant à l’histoire moderne et nationale ; à côté de la Continence de Scipion, Brenet a peint, pour le roi, Henri II décorant, sur le champ de bataille de Renty, le vicomte de Tavannes ; Durameau joint à son Combat d’Entelle et de Darès une esquisse de la Séance des états-généraux à Versailles le 5 mai 1789 pour un tableau de 14 pieds de hauteur sur 30 pieds de largeur ; Le Barbier, qui a peint d’après Pausanias Ulysse et Pénélope quittant Sparte, satisfait avec empressement la curiosité publique en donnant le Portrait d’Henri, dit Dubois, soldat aux gardes-françaises, qui est entré le premier à la Bastille. On voit des portraits en quantité, comme d’habitude, de Suvée, de Callet, de Mme Lebrun, de Mme Guyard, de Vestier, de Mosnier, de Dumont, de Duplessis, presque tous excellens. Qui le croirait ? Les paysages, les scènes de genre, la nature morte, ce qu’on est convenu de regarder comme la note essentiellement moderne, sont proportionnellement très nombreux. Et ce ne sont pas seulement des paysages décoratifs et dramatiques, de magnifiques paysages composés, tels que ceux de M. Joseph Vernet, conseiller, et de M. Hubert Robert, l’un des gardes du muséum du roi et dessinateur des jardins de sa majesté, mais aussi des paysages réels, exacts, sincères, naïfs, à ce que croient du moins leurs auteurs, car ils prennent bien soin