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L’analyse des formes en plein air qui préoccupe tant nos jeunes peintres n’est pas un problème facile à résoudre ; mais c’est un problème attrayant, plein d’aspects variés, qui excitera longtemps chez eux une utile activité. Il est donc légitime qu’ils s’y complaisent, à la condition de n’en point faire une nécessité absolue et de ne point proscrire toutes les autres formes de l’imagination pittoresque. En tout cas, on n’arrivera à rien si l’on ne commence par apprendre ce qu’il faut apprendre. C’était, par exemple, un beau sujet, tout moderne, d’une poésie simple et puissante, que cette mise à la mer d’une embarcation par un groupe de pêcheurs à demi nus, intitulée Au large ! par M. Coussin. Supposez ces solides gaillards, aux muscles rebondis, aux peaux tannées, avec leurs fermes attitudes et leurs vigoureux efforts, brossés avec la force et l’éclat nécessaires par quelque Géricault, vous aurez un chef-d’œuvre. L’exécution de M. Coussin n’est point, par malheur, à la hauteur de ses intentions ; néanmoins, cet ouvrage, très supérieur à tout ce qu’a fait jusqu’à présent l’artiste, n’en reste pas moins une composition bien présentée, intéressante et d’une bonne indication, montrant le parti que des praticiens exercés pourraient tirer du sujet le plus vulgaire. L’essentiel, dans ce cas, c’est de ne point mêler le plein air et l’atelier, de ne point donner des sensations incomplètes et troublées en faisant sentir l’étude du modèle de profession au milieu d’un paysage réel. Ce sont les incohérences de ce genre qui gâtent le plaisir qu’on pourrait avoir à regarder quelques-unes des innombrables Baigneuses déshabillées sur les verdures du Salon. Les progrès des paysagistes nous ont donné de telles exigences d’exactitude, en fait de nature extérieure, qu’à moins de nous trouver en face de fonds résolument conventionnels, comme ceux de MM. Henner et Bonnat, nous demandons à l’entourage de toutes ces figures plus de vérité qu’autrefois ; par suite, nous demandons aux figures mêmes leur accord avec cet entourage, et si nous ne le trouvons pas ou ne le trouvons qu’à peine, nous ne sommes point satisfaits. Les baigneuses parisiennes, de M. Ballavoine, sortant de l’eau sur une alerte, alors qu’elles devraient peut-être s’y enfoncer jusqu’au cou pour échapper aux regards indiscrets de l’Imprévu, celles même de M. Franck-Lamy, moins mondaines et plus classiques, qui s’ébattent Au fond des bois, ne nous semblent pas à l’abri de tout reproche sous ce rapport. L’étude de M. Franck-Lamy est cependant sérieuse et intéressante, avec un sentiment chaste de la beauté qui devient de plus en plus rare. Chez M. Quinsac, dans sa Fontaine de Jouvence, l’intention d’établir l’unité entre la figure et le fond est marquée. La grosse fille réjouie qui vient de boire une nouvelle jeunesse à la source