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que le goût cultivé des amateurs n’accepteront, dans une matière solide et palpable, des formes sans précision. Sans doute le besoin de se distinguer, de trouver du nouveau, de l’inattendu, du piquant dans un art dont les limites sont très précises et dont le champ a été si furieusement cultivé, pont pousser les jeunes sculpteurs à chercher des étrangetés d’arrangement et des raffinemens de rendu ; d’autre part, le maniement du marbre, de cette matière brillante, tendre, caressante, donne des tentations auxquelles il est peut-être difficile de résister. Ce n’est point d’aujourd’hui que les sculpteurs se trouvent en présence, de ces difficultés et de ces tentations ; tous les maîtres se sont tiré des unes et ont résisté aux autres sans avoir recours à ces expédiens déplorables. N’est-il pas fâcheux, l’année même où MM. Paul Dubois et Fremiet exposent leurs Jeanne d’Arc, si simplement conçues, si franchement exécutées, que M. Pézieux, un statuaire fort habile, consume sa force et son temps à vouloir faire exprimer par le marbre, autour de la Pucelle sur son bûcher, la fluidité et l’agitation des flammes montantes, de nous indiquer la nature et la qualité des tissus qui vont être dévorés ! Voilà bien des préoccupations dignes d’un pareil sujet et d’une pareille figure ! N’est-il pas fâcheux de même que, dans son groupe de la Décollation de saint Jean-Baptiste, M. Ferrary ait donné une pareille importance aux draperies inextricables dont l’insolent bourreau, appuyé sur son cimeterre, est enveloppé jusqu’aux yeux, surchargé, encombré ? Tout cet étalage pittoresque nuit beaucoup plus qu’il ne sert à une œuvre d’ailleurs puissante, sérieusement étudiée, dont quelques morceaux, notamment le cadavre du saint gisant, tout replié, à côté de l’exécuteur, donnent une haute idée de la science et de l’habileté de l’artiste. Le modèle de ce groupe date de quelques années ; il est probable que M. Ferrary ne compromettrait plus aujourd’hui son talent souple et vigoureux en des aventures si fâcheuses.

Quelques bons marbres, achevés avec soin, remettent, sous nos yeux, des figures agréables dont les modèles avaient déjà paru au Salon les années précédentes. Tels sont l’Eve, de M. Marqueste, la Géographie, par M. Lanson, la Muse d’André Chénier, par M. Puech, le Tircis, par M. Laporte, le Vainqueur, par M. Thabard, la Fortune enlevant son bandeau, par M. Michel, la Psyché, par Mme Léon Bertaux. Le groupe des Exilés, par M. Mathurin, celui d’Agar et Ismaël, par M. Aizelin, nous étaient également connus ; le marbre a donné, à ces œuvres sérieuses, plus de puissance expressive. Il en est de même des ouvrages de bronze envoyés par MM. Mabille et Roussin, l’Amour blessé et le Phaéton. Autour de ces anciennes connaissances se groupent d’ailleurs quelques modèles nouveaux devant lesquels on peut s’arrêter avec plaisir ou profit. Chez les