Page:Revue des Deux Mondes - 1889 - tome 93.djvu/716

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

royales ou impériales, des détresses populaires, c’est l’histoire du jour : elle est pas précisément nouvelle, elle est toujours instructive. Elle révèle le fond des choses, les sentimens qui s’agitent, les secrets mobiles des politiques.

Le roi Humbert d’Italie est donc allé à Berlin, accompagné de son jeune héritier, le prince de Naples, de son premier conseiller, M. Crispi, et des officiers de sa maison. Le conseil municipal de Berlin avait, à la vérité, montré quelque parcimonie dans les préparatifs de la réception ; le bourgmestre a réparé tout cela par des complimens. L’héritier de Victor-Emmanuel a été reçu dans la capitale de l’empire avec éclat, même avec une pompe trop visible, trop méthodique pour n’être pas un peu calculée. Il a revêtu pour la circonstance, pour faire honneur à son hôte impérial, l’uniforme de hussard allemand. Il a passé des revues à Tempelhof ; il a visité des casernes, l’exposition d’hygiène et les monumens. Il a été harangué et acclamé. Il a échangé avec l’empereur Guillaume l’inévitable toast. Bref, rien n’a été négligé à Berlin pour enguirlander le roi Humbert, qui à son retour, en repassant par Francfort, s’est plu à dire, dans son enthousiasme, que les Italiens et les Allemands « ne formaient désormais qu’une même famille. » Et M. Crispi, lui aussi, a eu sa part des honneurs. Il a été fêté par le chancelier, fêté par les représentans du parlement. Il a proclamé, comme son souverain, l’indestructible intimité des deux peuples, la pérennité de l’alliance. M. Crispi, il est vrai, n’a pas toujours parlé ainsi, et il n’y a pas déjà tant d’années qu’il disait, en plein parlement italien, aux ministres du roi Humbert : « Nous sommes des alliés pour exécuter la volonté des autres et non pas comme d’égaux à égaux. Nous sacrifions les principes de notre révolution en abandonnant l’amitié des peuples, et, au lieu d’être les défenseurs des nationalités, nous nous faisons les gendarmes d’une nouvelle sainte-alliance. » Un nouveau député, M. Imbriani, le lui a rappelé l’autre jour dans la Chambre de Home. Évidemment M. Crispi n’en est plus à penser ce qu’il disait il y a quelques années. Ce qu’il reprochait aux autres, il le trouve tout simple, il a été illuminé depuis qu’il est au pouvoir. Il a fait son voyage de Canossa, — et on conviendra bien que la destinée a des jeux bizarres. Ainsi, voilà M. Crispi, qui était autrefois un révolutionnaire ardent, l’ami de Mazzini, le compagnon de Garibaldi, l’adversaire du libéral Cavour, et qui aujourd’hui introduit ni plus ni moins l’Italie dans cette nouvelle sainte-alliance dont il parlait avec indignation. Tout arrive, cela est certain, c’est peut-être même plus vrai que jamais !

Ce n’est pas que cette excursion récente du roi Humbert en compagnie de son premier ministre ait par elle-même rien d’extraordinaire, rien qui puisse éveiller les susceptibilités d’une autre nation. Le roi d’Italie a reçu l’an dernier à Rome la visite de l’empereur Guillaume, il lui rend aujourd’hui sa visite à Berlin. C’est la démarche la plus