Page:Revue des Deux Mondes - 1889 - tome 93.djvu/776

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

engendre, ne sera plus qu’un fantôme désarmé, légendaire ; et l’esprit des hommes d’alors ne sachant plus comprendre les détestables mobiles qui gouvernent maintenant les relations des peuples, devra borner ses conjectures sur notre caractère, comme nous bornons les nôtres dans l’information poursuivie sur les êtres qui turent nos avant-coureurs, préparèrent notre hégémonie sur la nature organisée, et dont les os et les œuvres naïves dorment recouverts par le travail lent de mille siècles, oubliés dans l’éternelle succession des faits. Et si quelqu’un des hymnes guerriers qui rallument parfois dans nos veines les ardeurs de la lutte impitoyable pour l’existence se transmet jusqu’à ces générations futures, il sera peut-être devenu un refrain que les travailleurs diront pour exalter leur ouvrage sans penser qu’à son origine, propagé sur les champs de bataille, il couvrait le râle des mourans.

Marchons donc résolus dans cette voie nouvelle que la science illumine, et qu’elle ouvre pour tous ceux d’entre nous que domine l’attraction vers un progrès noble et constant, avec le sentiment généreux des biens que ces efforts préparent à nos successeurs. Si nous trouvons encore devant nous des obstacles suscités par les indifférens que ne gagne aucune émotion quand des problèmes résolus laissent voir de nouveaux domaines conquis sur l’ignorance ; par certains timorés que chagrine l’effacement progressif de traditions vermoulues, devant l’autorité réconfortante de la saine raison ; ou bien par des adversaires égoïstes qui craignent d’abandonner un état dont ils sont satisfaits pour eux-mêmes, qu’importe ? Les uns et les autres ne modifieront pas l’incessante évolution des idées et des choses, l’unique loi immuable qui préside à la marche de l’univers et aux actions des hommes. Le passé est là pour nous le garantir. Vouloir arrêter sur un point le génie humain lancé vers des limites inconnues, c’est obéir à une chimère qui ne conduit à rien.

De même que, pour suivre la course de notre terre dans l’espace où fourmillent les mondes, de brillantes étoiles ne sauraient être que des guides temporaires, — car elles ne sont point immobiles, et leur éclat doit tôt ou tard se troubler pour nous, — il faudra aux astronomes pour ne pas se perdre dans les contrées célestes que nous traversons, des calculs toujours renouvelés : de même, pour orienter leur conscience, il faut aux hommes des repères constamment rectifiés.

Mais le temps se charge mieux que tous les calculs de nous confirmer dans notre voie. Hier encore on voyait des juges fanatiques punir Galilée pour avoir entr’ouvert le grand voile mystérieux, de part et d’autre on violentait les consciences, et l’on pensait que la