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colonie, ils ne songèrent point à inquiéter les Peaux-Rouges. Mais leur pénétration dans l’intérieur fut le signal de ces escarmouches sans pitié, tout à l’avantage des Européens, qui opposaient des fusils et des balles aux arcs et aux flèches de ces barbares.

Traquées par la civilisation, les tribus commencèrent ce mouvement de recul vers l’Ouest, le Sud et le Nord, laissant libre la partie centrale, comme si la force centrifuge les eût successivement déplacées vers la périphérie, à mesure que la population blanche accentuait vers l’Ouest sa marche continue.

La proclamation de l’indépendance des États-Unis marqua le premier pas vers la stabilité relative, en ce sens que, sans tarder, les Américains se préoccupèrent de l’adoption d’un modus vivendi à leur égard. Comme base de leurs relations avec ces hommes naïfs, ils prirent ce mot de Washington : « Nous avons de tels avantages sur les Indiens, que les traiter avec le plus de ménagemens possible s’impose à nous comme un devoir. » Voilà la théorie ; la pratique s’écarta légèrement de cet aphorisme rigide.

Sur tous les points du territoire, les Américains ont imposé, comme il suit, la loi du plus fort. Le citoyen qui n’est ni l’honnêteté même, ni la bienveillance personnifiée, qui, en sa qualité d’homme blanc, s’arroge le droit, se reconnaît presque le devoir de commander en maître à la race rouge, inférieure à ses yeux, s’intitule Indian Trader. Il déballe chez les Peaux-Rouges une pacotille d’objets de rebut qu’il prétend échanger contre des produits de haute valeur ; les Indiens apportent des peaux de loutre et de castor ; il leur donne de la poudre, des armes et du whisky.

Peu à peu, le sauvage acquiert de nouveaux besoins ; afin d’y subvenir, il poursuit sans relâche le bison dans la prairie, l’alligator dans les rivières et le castor au bord des lacs, tandis que ses femmes défrichent un coin de terre, plantent quelques pieds de maïs et construisent des cases. Pourquoi cet établissement primitif ne constituerait-il point le noyau d’un village autour duquel se groupera la tribu ? La chose n’est point aussi simple. Grâce aux désirs impérieux qui assiègent maintenant le sauvage, l’offre, qui d’abord surpassait la demande, lui devient de beaucoup inférieure ; le marchand est le centre et, pour ainsi dire, l’âme de la tribu. D’autres traders, attirés par l’appât du lucre, comme le tigre par l’odeur de la chair, viennent rejoindre le premier. Ils échelonnent leurs visites de telle sorte que les blancs vivent en permanence parmi les hommes rouges.

Des querelles surviennent, puis des rixes où le sang coule. Féroces, vindicatifs, surexcités par les vapeurs alcooliques, forts de leurs griefs et confians dans leur nombre, les Peaux-Rouges