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l’acquisition de la terre le législateur n’a qu’un but : les empêcher de dépouiller la noblesse et le paysan. Le juif, il est vrai, n’est pas cultivateur. C’est même là une des principales difficultés de la question sémitique dans l’est de l’Europe, où, la vie urbaine étant peu développée encore, l’agriculture est la grande ressource de la population. Pourquoi le juif a-t-il, depuis des siècles, abandonné la charrue ? Toute l’histoire d’Israël l’explique. Voilà bientôt deux mille ans qu’il a été déraciné du sol. Les lois mêmes l’ont, durant tout le moyen âge, emprisonné dans les ghettos des villes. Or l’on sait que les populations urbaines ne retournent jamais aux travaux des champs. Nulle part, le citadin ne s’est refait paysan. C’est là une loi historique ; toute notre civilisation et tout notre développement social ne la confirment que trop. Le juif, à cet égard, ne se distingue pas des autres races. Le dur labeur de la glèbe est de ceux auxquels l’homme ne se remet plus, une fois qu’il l’a quitté. Le juif n’en aurait même pas toujours la force physique. L’énergie musculaire a été affaiblie chez lui ; la vie urbaine, la claustration du ghetto, la pauvreté héréditaire l’ont débilité et anémié depuis des générations. Les statistiques milliaires de la Russie en font foi : ses conseils de révision sont contraints d’exempter proportionnellement plus de Juifs que de Russes, de Polonais ou de Lithuaniens. Un grand nombre des conscrits Israélites n’ont pas la taille, ou n’ont pas la largeur de poitrine réglementaire. La race a été trop longtemps en proie à la misère physiologique, suite inévitable de la misère économique.

Le plus grand service que l’on pût rendre aux juifs du centre et de l’est de l’Europe serait d’en ramener une partie au labour de la terre. La question sémitique serait, par là, à demi résolue. Les israélites le comprennent ; ils ont fait, en divers pays, différens essais dans ce sens, surtout pour les cultures, telles que le jardinage ou la vigne, qui demandent plus d’art et de patience que de force des bras. Cette transformation du juif en cultivateur, le gouvernement russe l’a entreprise d’autorité vers 1810 et 1840. Alexandre Ier, Nicolas surtout, ont fondé, sur plusieurs points, des colonies agricoles d’Israélites. La plupart n’ont guère prospéré. Il est vrai qu’on ne pouvait beaucoup attendre de colonies administratives étroitement réglementées, où les professeurs d’agriculture étaient d’anciens sous-officiers qui l’enseignaient à coups de fouet.

L’interdiction de posséder des terres n’est pas le moyen d’amener les israélites au travail des champs. La défense d’habiter les campagnes l’est encore moins. C’est pourtant ce que la Russie leur a plusieurs fois interdit, ce que le règlement « provisoire, » édicté par l’empereur Alexandre III, en 1882, leur a de nouveau