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l’eussent opéré sans secousse. Voyez Frédéric II ; un tiers de siècle avant la Révolution, il a introduit dans ses états la tolérance, la liberté de penser, des encyclopédistes aux jésuites. Dans son code qui n’a été publié qu’après sa mort, se retrouvent les droits de l’homme ; le roi philosophe proclame que le souverain n’est que le serviteur de la société. L’Europe, à l’instar de la Prusse, allait se transformer par la main des princes. En substituant les révolutions d’en bas aux réformes d’en haut, en effrayant les gouvernemens, en décourageant leur initiative, la Constituante et la Convention ont probablement retardé l’Europe d’un demi-siècle. Quelle différence dans les destinées du continent, si l’exemple des réformes, et non des révolutions, fût parti de la France ! s’il y eût eu, chez l’honnête Louis XVI, du Henri IV ou du Frédéric II ; s’il eût laissé faire Turgot, ou si la nation lui eût seulement laissé le loisir de faire la Révolution ! Imaginez Louis XVI accomplissant les réformes, ayant pour ministres un Talleyrand et un Mirabeau, pour général un Bonaparte, que de choses changées en Europe et quel rêve pour un Français ! Dieu ne l’a pas permis ; c’est peut-être que la France eût été trop grande.

« La meilleure Révolution, c’est un grand roi ou un grand ministre. Une Constituante d’un millier de têtes ne vaut pas un Frédéric ou un Stein. On en avait conscience chez nous ; on en avait même le sentiment en France. Les philosophes, les économistes, Turgot le premier, ne demandaient qu’un maître éclairé qui décrétât les réformes. La liberté ne tenait dans leurs idées qu’une place secondaire, ceux qui en avaient le goût l’avaient pris des Anglais ou des Américains ; c’était, pour la plupart, moins un but qu’un moyen. La liberté politique n’était guère à leurs yeux qu’une garantie de la liberté civile. Constituans ou conventionnels eussent rencontré un prince qui leur eût octroyé l’égalité civile, la liberté religieuse, des réformes administratives et judiciaires, que, au lieu de devenir des tribuns et des proconsuls, les plus farouches montagnards fussent restés d’humbles sujets du roi, de même que les survivans ont été de dociles préfets de Napoléon. On reproche aux Sieyès et aux Cambacérès d’avoir été infidèles à leurs principes en endossant l’uniforme de sénateurs de l’empire ; erreur, ils ne faisaient que revenir à leurs premières maximes. S’ils ont fait la Révolution, c’est faute d’un prince selon leur cœur ; c’est presque malgré eux, à regret, qu’ils ont fait par le peuple, ce qu’ils eussent voulu faire par le roi. Leur rêve eût été d’avoir un Frédéric. Songez quelle était, en France, la popularité du vainqueur de Rosbach. Ecrivains et politiques étaient ses panégyristes. Dans la haine vouée à Marie-Antoinette, l’Autrichienne, il y avait de l’amour pour la