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d’Auguste, par une série de lois et de sénatus-consultes, selon les formes usitées. Ainsi, en France, la Révolution française aboutit à l’empire français. Après avoir transporté la souveraineté du roi au peuple, la révolution l’a déléguée à un général. L’imperium passant du peuple à un homme, on a l’imperator. La Révolution de 1789 n’a été qu’un commentaire de la loi établie par Vico, et la république de 1889 semble vouloir en donner une démonstration nouvelle.

« Qu’on y regarde bien, on verra que la Révolution française nous a fait plus d’emprunts que nous ne lui en avons fait. D’où vient l’idée de l’unité, si importante et si fatale par l’abus qu’en firent les Jacobins ? De Rome, la grande maîtresse d’unité. D’où, la notion de l’Etat et de l’omnipotence de la collectivité ? — De Rome encore. — D’où, la raison d’Etat et l’érection du salut public en suprema lex ? — Toujours de Rome, et cette doctrine romaine, c’est l’Italie qui l’a remise en honneur à la Renaissance ; c’est Machiavel qui en donne la théorie. Il y a plus, ce qui fait, semble-t-il, le titre propre de la Révolution française, l’égalité civile, cela aussi vient de Rome. On a dit que la Révolution se résumait dans le Code civil ; or, de quoi s’est inspiré le Code civil ? — Du droit romain ; de ce droit, ennemi des privilèges, qui avait établi l’égalité civile de la femme et de l’homme, du plébéien et du patricien, du provincial et du romain. La Révolution a voulu inaugurer le règne de la Raison ; mais le droit romain n’a-t-il pas été appelé la raison écrite ? La Révolution a prétendu substituer le droit de la nature à la tradition et à la coutume, mais le droit romain n’est-il pas l’expression la plus haute du droit naturel ? Aussi est-ce justice que votre code civil, code latin d’inspiration, ait reçu le nom italique de Napoléon. Papinien et Ulpien ont été les ancêtres et les maîtres des Tronchet et des Portalis, et ce n’est point par hasard que les légistes ont été les principaux artisans de la Révolution, que tout ce qu’elle a fait, ou défait, l’a été par leurs mains. Les légistes de la Constituante, de la Convention, du Conseil d’Etat étaient les héritiers de ceux de Philippe le Roi. Ils avaient le même idéal ; ils avaient également bu à l’antique fontaine. Remontez le cours des âges, suivez le ruisseau jusqu’à sa source, vous arriverez à l’Université de Bologne.

« La Révolution française se fait gloire d’avoir aboli la féodalité ; mais, quand elle a été renversée par la Révolution, la féodalité tombait de vétusté. Il y avait des siècles qu’elle était sapée par nos légistes. Le droit romain a été le bélier avec lequel la féodalité et les institutions du moyen âge ont été battues en brèche. C’est lui qui a démantelé les châteaux-forts et abaissé les ponts-levis. La Révolution n’a abattu que des ruines. Les murailles de la Bastille ne tenaient plus debout ; pour les jeter bas, il n’y avait pas besoin