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militairement, revolver au poing, à la tête d’une escorte année, entendant avoir raison de l’Afrique et triompher de l’inconnu. Leurs relations, habilement résumées dans le Tour du monde, sont empreintes d’un profond sentiment de personnalité. S’ils pensent quelquefois (et ce n’est pas bien sûr) aux académies on aux sociétés de géographie qui leur décerneront des médailles, ils se complaisent, avant tout, dans cette vie d’aventures et de périls. Le charme pour eux est de se sentir sur une terre qu’aucun Européen n’a encore foulée, de pagayer sur des fleuves dont la source est ignorée, de planer sur des montagnes aux vierges horizons, de braver à toute heure la nature et les hommes et de s’épuiser à ce-perpétuel défi. Les récits de voyages, où leur personne apparaît toujours au premier plan, où leurs impressions personnelles s’ajoutent si abondamment à la description du pays et aux accidens de la route, n’en sont que plus instructifs pour le lecteur, qui suit de loin et à son aise ces périlleuses promenades en pleine Afrique.

En 1875, explorant, après Speke, le lac Nyanza, situé entre l’équateur et le 2e degré de l’hémisphère austral, du 30e au 33e degré de longitude est, Stanley rencontra un empire, l’empire d’Ouganda, et un empereur, sa majesté Mtesa, un beau nègre de six pieds de haut, ayant sa cour, son harem de cinq cents femmes, son armée et sa Hotte. Mtesa était alors en guerre avec l’un de ses voisins. Stanley, bien accueilli par l’empereur Mtesa, qui comptait sans doute tirer parti des conseils stratégiques de l’homme blanc, fut témoin des manœuvres de l’année. Or cette année ne comptait pas moins de 100,000 combattans, auxquels s’ajoutaient 50,000 femmes et autant d’enfans et d’esclaves des deux sexes : ce qui faisait un campement de 200,000 personnes. En outre, la flotte impériale se composait de plus de 300 canots, pouvant porter 20,000 hommes, Stanley, qui avait pourtant vu déjà tant de choses extraordinaires, n’en pouvait croire ses yeux. Et, indépendamment du nombre qu’il eut soin de vérifier, ce qui n’excita pas moins son étonnement, ce fut l’ordre qui régnait dans cette multitude, la hiérarchie des grades sévèrement observée, le défilé, tambours en tête, l’installation d’un camp où l’armée fut, en quelques heures, logée dans trente-mille cases, avec quartier impérial, pavillons des duels, sans oublier le harem de sa majesté. Mtesa demeura vainqueur de tous ses ennemis, et les avis de Stanley ne lui furent pas inutiles. Cela nous intéresse médiocrement ; mais ce qui surprend, c’est l’organisation régulière, compacte, de cet empire nègre sous l’équateur. Le pays est donc peuplé, ses ressources sont, grandes, et même son administration est bien constituée, puisqu’il peut fournir et entretenir en campagne une armée aussi nombreuse. Stanley et les