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Il se redressa vivement, et tous deux se regardèrent avec stupéfaction.

— Qui es-tu ? demanda le jeune homme.

— Et toi ? répliqua Matrina sans s’émouvoir, et en arrêtant son cheval.

— Je suis Methud Jerdasb, répondit le jeune montagnard avec hauteur. Mon nom est connu et redouté partout. Cent vigoureux haydamaks (brigands) obéissent à mes ordres.

— Moi, dit Matrina d’un air astucieux, je ne suis qu’une pauvre fille, heureuse de te rencontrer, si tu veux bien lui accorder aide et protection.

Puis, elle lui raconta en quelques mots ce qui lui était arrivé.

— Alors, reste avec nous, s’écria Methud, nous te respecterons et t’honorerons comme notre reine.

Matrina prit tout de suite une résolution. Elle n’avait pas le choix. Les deux jeunes gens se tendirent la main, et se remirent en route de compagnie.

À l’entrée de la nuit, ils se trouvèrent au bord d’une petite clairière ; un grand feu y flambait et une vingtaine d’hommes, armés jusqu’aux dents, campaient tout autour. L’un d’eux se leva brusquement et vint à la rencontre de Methud. C’était son frère, et il s’appelait Symphorian. Ces deux hommes commandaient la troupe. Ils échangèrent quelques mots, puis ils brandirent en même temps leurs topors (une sorte de hache, arme des haydamaks). Matrina comprit qu’une lutte à outrance allait s’engager, et elle crut devoir intervenir. — Qu’allez-vous faire ? s’écria-t-elle. Vous êtes donc fous ?

— Elle est à moi, dit Methud d’un air de défi.

— Il me faut cette belle proie ! répliqua Symphorian du même air provocateur.

— Ni à l’un, ni à l’autre, tant que mon cœur sera libre ! dit Matrina avec calme. Que l’un de vous s’efforce de le gagner ; je suivrai chez le pope celui qui triomphera.

— C’est bien ! firent les deux frères en même temps.

— Il n’est pas bon, dit la jeune fille debout entre les deux hommes, que deux têtes décident et que deux voix commandent. Mais je connais un moyen de vous mettre d’accord, c’est de vous soumettre à mes ordres. Le voulez-vous ? Voulez-vous me jurer obéissance ?

— Pourquoi non ? dit Methud en souriant, il est plus agréable d’obéir à une belle femme qu’à un homme.

— Eh bien ! soit. J’aime autant cela, ajouta Symphorian. Tu seras donc notre reine.