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institutions libérales elles-mêmes ? Cette paix, elle est évidemment possible, puisqu’elle est nécessaire, et ceux qui la feront auront accompli une œuvre morale et patriotique aussi utile que les merveilles du Champ de Mars à la grandeur de la France.

C’est trop évident, non, les fêtes, les ascensions à la tour Eiffel, les fontaines lumineuses ne suppriment pas nos difficultés intérieures, pas plus que l’affluence des étrangers, qui profitent de la paix du moment pour venir en France, ne supprime ce qu’il y a d’incertain, d’obscur dans l’état de l’Europe. Nous n’en sommes pas encore, c’est fort à craindre, à la paix indéfinie et universelle. On peut échanger des toasts, on peut même, dans les discours, parler, si l’on veut, de la solidarité par le travail, du progrès, de la civilisation, de tout ce qui rapproche les peuples : c’est ce qu’on peut faire de mieux pour jouir de l’heure présente, c’est autant de gagné ! On sent bien cependant que, si l’Exposition est une trêve dont tout le monde se hâte de profiter, elle n’est qu’une trêve ; elle ne change ni les conditions générales du continent, ni les rapports des gouvernemens, ni cet état réellement assez maladif, assez précaire qui reste toujours, peut-être plus que jamais à la merci de l’imprévu. Les apparences n’abusent que ceux qui veulent se laisser abuser ; il suffit parfois du plus simple incident, d’une parole énigmatique pour dévoiler le fond des choses, les divisions de l’Europe, les contradictions des politiques et des intérêts, les incompatibilités déguisées sous le faste des alliances, les secrets d’une situation incertaine, laborieuse et troublée.

Où en sont donc réellement ces grandes alliances dont on ne cesse de parler, dont on se plaît à donner de temps à autre une représentation nouvelle devant le monde ? De ce voyage que le roi d’Italie a fait récemment en Allemagne et qui paraît bien avoir eu ses petites péripéties intimes, que reste-t-il aujourd’hui ? Si le roi Humbert a voulu rendre une visite à un puissant allié, aller échanger des toasts et des témoignages d’amitié avec l’empereur Guillaume II, rien de plus simple, c’est entendu. Est-ce là tout ? Serait-il vrai que la présence du roi Humbert et de son président du conseil, M. Crispi, à Berlin aurait été marquée par quelque négociation particulière, que l’Italie se serait liée à l’Allemagne par de nouveaux engagemens, qu’il y aurait eu quelque combinaison d’un ordre tout militaire, précisant et complétant les premières obligations italiennes ? Voilà qui ne laisserait pas d’être singulier et de soulever plus d’une question délicate sur la nature de ces nouveaux engagemens qui auraient été pris à Berlin, sur la signification que pourrait prendre cette alliance particulière dans la triple alliance. Car enfin, à quoi tendrait cet enchevêtrement d’alliances ? Il y a quelque mystère en tout ceci. Ces jours derniers encore, au retour de Berlin, M. Crispi interrogé dans son parlement au sujet d’un incident qui s’est passé à Trieste et qui n’a d’importance que parce qu’il se lie