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Berlin ; elle n’est pourtant que l’expression familière de la politique à laquelle s’est attachée la Russie depuis quelques années. Ce toast de Peterhof n’a, en réalité, qu’un sens, — un double sens, si l’on veut. C’est le langage d’un prince qui a été visiblement froissé dans ses intérêts et s’est retranché dans sa solitude, dans sa puissance, qui ne se croit plus obligé à des affectations d’intimité, à des démonstrations inutiles et se sent assez fort pour ne prendre conseil que de lui-même. Le tsar, c’est bien évident, a pris son parti d’attendre sans se hâter, sans se laisser émouvoir par les récriminations ou les séductions, en restant en mesure de tenir tête aux événemens en Europe. C’est sa force, c’est peut-être ce qui a garanti le repos du monde, bien plus que la triple alliance avec tous ses fracas. Ce toast de Peterhof a vraisemblablement aussi un sens plus particulier. C’est la manifestation d’un souverain qui a pu sacrifier momentanément l’orgueil de sa politique à la paix, mais qui ne se désintéresse sûrement pas de ce qui se passe en Orient, et qui, en s’alliant au prince de Monténégro, en lui témoignant ses sympathies, a voulu prouver qu’il n’abandonne ni ses amis, ni ses cliens dans les Balkans. Il est certain que ce petit prince de la Montagne-Noire, si bien reçu à Peterhof, devient une sorte de puissance par son alliance avec la famille impériale de Russie, par le mariage d’une autre de ses filles avec le prince Karageorgevitch, qui pourrait être un prétendant en Serbie. On ne peut pas dire que ce soit absolument indifférent dans ces contrées orientales, dans ces petits états des Balkans toujours livrés aux conflits des traditions et des influences extérieures, aux agitations des partis, aux passions des gouvernemens eux-mêmes. C’est peut-être de là que jaillira l’étincelle qui allumera les conflagrations en Europe, puisque de toutes parts, la Russie et l’Autriche se trouvent en présence avec leurs rivalités et leurs intérêts opposés.

Aussi bien, ces états des Balkans, dont quelques-uns doivent leur existence ou leur agrandissement au traité de Berlin, ne cessent, depuis dix ans, de se débattre dans les conditions les plus ingrates, les plus troublées ; et, entre tous ces petits états, la Serbie n’est pas la région la moins agitée aujourd’hui. Depuis l’abdication du roi Milan, qui est parti, qui est allô en Palestine et à Constantinople, laissant la couronne à un prince enfant sous une régence présidée par M. Ristitch, ce pays serbe reste plus que jamais livré aux conflits des diplomates et des partis. Belgrade a eu même, tout récemment, ses scènes de désordre et de violence qui ont fini par l’emprisonnement d’un ancien ministre, M. Garachanine, soumis pendant quelques jours à une captivité rigoureuse. Le désordre matériel peut être réprimé et apaisé ; la situation ne reste pas moins difficile entre toutes les influences qui s’agitent autour d’un pouvoir incertain. On ne voit pas bien de quel côté finira par se tourner cette régence qui s’efforce évidemment de ménager, de ne pas trop blesser l’Autriche, et qui se sent entraînée