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ridiculement les choses sérieuses, et gravement les choses futiles, — il m’est doux de les voir venir eux-mêmes à ce qu’ils trouvaient en moi de plus « bourgeois » et de « plus philistin. » — « Il croit à la nécessité d’un certain optimisme, disait l’un d’eux, ou du moins de la sympathie pour les misères et les souffrances de l’humanité… Est-il nécessaire d’avoir de la sympathie morale pour ce qu’on peint ? Il me semble bien que le principal est de faire des peintures vivantes, et que c’est même le tout de l’art, le reste étant forcément autre chose : morale, religion, métaphysique. » Mais voici, tout récemment, et sans presque y songer, ce que lui répondait un plus jeune : « La vie est intéressante, parce qu’elle est remplie d’une pitié sans fond… Tandis que nos romans réalistes n’expriment, en somme, que la mauvaise humeur où nos fades romans romanesques ont mis un lecteur sensé, les observateurs russes ont une opinion sur les hommes,.. et cette opinion, c’est que nous sommes, avant tout, dignes de miséricorde… Enfin, Dieu soit loué ! nous voilà délivrés de toute cette littérature. Nous voyons clair ! La vie a une valeur en soi. La bonté a une majesté supérieure à l’art. » Je laisserai d’ailleurs M. Paul Desjardins débattre là -dessus avec M. Jules Lemaître ; et il me suffira, pour ma part, que les œuvres traduisent quelque chose de cette « sympathie, » — qu’il me semblait seulement qu’avant l’auteur d’Anna Karénine, celui d’Adam Bede et celui de David Copperfield avaient assez bien exprimée. Je me reprocherais de n’y pas joindre l’auteur des Idées de Mme Aubray et de la Femme de Claude.

Je ne saurais donc trop féliciter M. Paul Bourget, — qui, d’ailleurs, tout disciple qu’il soit ou qu’il se soit cru jadis de Stendhal, de Baudelaire et de Flaubert, n’a jamais affecté l’attitude d’un observateur ironique et méprisant de la vie, — d’avoir parlé, comme il l’a fait dans cette Préface, du dilettantisme ou du dandysme littéraire. Sans doute, l’auteur dramatique ou le romancier ne sont pas des prédicateurs de morale. On ne leur demande pas des apologues ou des paraboles, et il n’est pas indispensable que leur roman ou leur drame finisse par une citation de l’Évangile. On n’exige pas d’eux qu’ils exercent leur art comme un sacerdoce. On ne leur demande pas, puisque l’humanité n’est pas toujours belle à voir, de la déguiser, de la masquer, de l’altérer pour la peindre, ni seulement de faire un choix parmi les spectacles que la réalité leur propose. Mais on les prie de se souvenir que, sans perdre jusqu’à sa raison d’être, leur art ne saurait se séparer d’avec la vie. On leur rappelle encore que les idées sont au moins des commencemens d’actes ; que, par conséquent, ils n’écrivent rien qui ne touche à la conduite, c’est-à-dire à la morale ; et qu’en vain se défendraient-ils de nous donner des leçons, les exemples qu’ils nous mettent aux yeux