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Ce ne sont pas sûrement les causes de trouble et, d’inquiétude qui manquent aujourd’hui en Europe, aussi bien qu’en France, non plus que les pronostics de tous ceux qui se plaisent à assembler les nuages. On ne le sait que trop, nous vivons au milieu des incidens qui naissent pour ainsi dire d’eux-mêmes, des questions prévues ou imprévues qui restent l’obsession du monde.

Il en sera de l’Europe et de ses affaires, peut-être d’ici à quelques mois, peut-être d’ici à quelques années, ce que les destins décideront. Pour le moment, on n’en est point à redouter des conflits prochains, à ce qu’il semble. L’été est encore à la paix avec les intermèdes de la saison, avec les voyages des princes et des souverains. L’empereur Guillaume, qui a décidément de la peine à rester au repos, qui aime le mouvement, vient de partir pour les côtes de Norvège où il doit passer, pour sa santé, quelques semaines à l’air de la mer. Puis il se tarait conduire, par une escadre allemande, dans les eaux d’Angleterre, pour aller rendre ses devoirs de petit-fils à la reine Victoria à Osborne ; il aurait même, à ce qu’il paraît, le projet d’aller jusqu’en Grèce à l’occasion d’un mariage de famille ; et, dans l’intervalle de ses courses, il s’arrêterait tout au plus quelques jours à Berlin pour recevoir la visite de l’empereur d’Autriche, qui ferait trêve à son deuil récent. On ne parle pas jusqu’ici d’une visite du tsar, qui se bornera probablement à aller en Danemark. Le roi Humbert à son tour serait, dit-on, disposé à aller, lui aussi, en mer, à faire le tour des côtes italiennes de Livourne à Tarente et à Bari. Ce programme d’excursions d’été n’est pas le signe de complications imminentes pour l’Europe. Il ne faut pas, sans doute, prendre trop au tragique la querellé entre l’Angleterre et le Portugal au sujet d’un chemin de fer sur la côte africaine de Delagoa, pas plus que le différend, tout diplomatique, entre l’Angleterre et la France au sujet de la conversion de la dette égyptienne, à laquelle se lie la question de l’occupation anglaise en Égypte. Ce ne sont là que des incidens partiels et passagers. L’affaire même que l’Allemagne a engagée récemment avec la Suisse paraît s’apaiser ou tout au moins entrer dans une phase qui n’est plus aussi aiguë, aussi immédiatement menaçante. M. de Bismarck, sans être pour le moment décidé à aller plus loin, a probablement dit ce qu’il voulait en mettant directement ou indirectement en cause la neutralité suisse, l’inviolabilité des traités qui consacrent cette neutralité. Il est vrai que ce qu’il dit suffit pour ouvrir d’étranges perspectives, pour ajouter une question de plus à tant d’autres questions qui agitent notre vieux continent, qui sont devenues les élémens nouveaux et redoutables de l’état présent de l’Europe.

Elles se sont singulièrement multipliées depuis un quart de siècle, ces questions qui menacent le repos du monde. Elles sont de toute nature, et certainement une des plus délicates est cette question de l’in-