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grandeur : Saint, saint, saint est Jéhova Sabaoth : toute la terre est pleine de sa gloire[1] » (Isaïe 3-6). Jéhova maintenant est tout pour les siens : « Jéhova notre juge, Jéhova notre législateur, Jéhova notre roi : c’est lui qui nous sauve (Isaïe. 33-32). » Les autres dieux, au temps de l’Exode, étaient déjà des dieux étrangers et ennemis : ils n’étaient pas, comme ils le sont maintenant, des dieux méprisés. On défendait d’honorer leurs images, on n’insultait pas à ces images. Mais entendons Isaïe (2-8), etc. : « Leur pays est rempli d’idoles ; ils adorent l’ouvrage de leurs mains, ce que leurs doigts ont fabriqué… Les idoles, c’en est fait d’elles. Elles disparaissent dans les cavernes des montagnes, dans les trous de la terre, devant la terreur de Jéhova et l’éclat, de sa grandeur, quand il se lève pour effrayer la terre. En ce temps-là, les hommes jettent aux rats et aux chauves-souris les idoles d’argent et les idoles d’or, qu’ils se sont fait faire pour les adorer. ». Jérémie, avec moins de majesté, est peut-être encore plus méprisant (10-3). « On coupe le bois dans la forêt : c’est la main de l’homme qui fait cela avec la hache ; on le décore d’or et d’argent : avec des clous et des marteaux on fixe l’image, pour qu’elle tienne ferme. C’est comme le poteau planté au milieu d’un champ, cela ne se meut pas, il faut le porter ; cela ne peut faire un pas. Ne les craignez pas : ils ne peuvent faire du mal, comme ils ne sauraient faire du bien. » — « D’où viendrait ton égal, ô Jéhova ? Tu es grand et ton nom est puissant. Qui ne te craindrait pas. roi des peuples ! .. C’est Jéhova qui est vérité, c’est lui qui est, le dieu vivant, le roi éternel… C’est lui qui a fait la terre par sa puissance, qui l’a établie dans sa sagesse, qui par son art a fait le contour des deux. Il verse des masses d’eau du haut des airs ; il fait, monter les nuages du bout, de la terre, il fait éclater la foudre avec l’averse. »

Cette religion-là est tout autre que celle de l’Exode. Si je dis l’Exode, et non pas le Pentateuque, c’est qu’il y a un livre dans le Pentateuque, je veux dire le Deutéronome, qui est beaucoup plus moderne que les quatre premiers, et que je crois, quant à moi, du même temps que les prophètes, et inspiré du même esprit. Mais je me Rome à indiquer sur ce point mon opinion sans la démontrer, ayant assez à faire avec la question des prophètes[2].

Quand les prophètes pensaient ainsi, la manière de concevoir la divinité avait fait de grands progrès dans le monde. Et sans que personne, à Jérusalem, eût encore lu les Grecs, il se faisait néanmoins, entre Crées et Hébreux, une infiltration d’idées. Les

  1. Ce verset se répète tous les jours à la messe, à la fin de la Préface.
  2. Voir, au sujet du Deutéronome, le Christianisme et ses origines, t. III, ch. 3.