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celui-ci, quelle y semait l’inquiétude et la discorde par ses projets de réforme. Le père Joseph était son directeur et un peu son tyran. C’était ce père qui l’avait imposée au couvent et qui lui avait imposé à elle-même une telle charge. Il lutte avec elle, par elle et contre elle. Tout plie à la fois sous la volonté du capucin ou succombe devant ses intrigues.

Dès 1609, cherchant un appui autour de lui, il s’adresse à l’évêque de Luçon. Celui-ci, profitant du voisinage, voit quel parti il peut tirer de cette circonstance pour pénétrer dans le dédale d’une intrigue où tant de hauts personnages sont directement intéressés. Le moine et l’évêque se sont mesurés d’un coup d’œil ; ils se sont compris.

A la mort d’Éléonore de Bourbon, en 1611, le père Joseph, poursuivant son dessein, résolut d’élever Antoinette d’Orléans au rang d’abbesse. On en écrivit, à la cour. Le roi et la reine-régente déléguèrent Richelieu a l’effet de signifier à leur cousine l’ordre d’assumer la direction suprême de Fontevrault. Mais celle-ci, de son côté, avait pris ses précautions. Par un nouveau caprice, elle s’entêtait à quitter un couvent que son despotisme avait troublé. Elle avait obtenu, dès 1609, du pape Paul V, l’autorisation de décliner la charge d’abbesse et de désigner elle-même le lieu de sa retraite. Le chapitre dut choisir une autre sœur, et l’élection, présidée par l’évêque de Luçon, éleva Mme de Lavedan-Bourbon à la dignité abbatiale.

Quant à Mme d’Orléans, elle se retira à Lencloitre, prieuré de Fontevrault. Elle devait bientôt le quitter encore et fonder à Poitiers même, sous l’œil de l’évêque de Luçon et sous la direction persévérante du père Joseph, cet ordre des Filles du Calvaire qui restaura, en plein XVIIe siècle, les minutieuses prescriptions et l’austérité rebutante de la règle de saint Benoit.

Ainsi, c’est au milieu d’affaires qui nous paraissent aujourd’hui mesquines, parmi les intrigues féminines, les rivalités de couvent et les compétitions de cornettes, que se nouèrent les premières relations entre ces deux hommes d’Etat dont la collaboration devait porter la France au comble de la grandeur militaire et politique. La première lettre de Richelieu au père Joseph qui nous ait été conservée est relative à une recommandation de minime importance. Elle est datée de 1611. Elle est écrite sur un ton de cordialité qui prouve qu’une affection réelle unissait déjà ces deux hommes extraordinaires.

Il faut encore rapporter à cette même époque de la vie de Richelieu sa première liaison avec Bérulle. Le fondateur de l’Oratoire n’était pas seulement un très saint homme ; c’était aussi un courtisan très souple, et il avait des visées politiques.