Page:Revue des Deux Mondes - 1889 - tome 94.djvu/657

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

et concerts ; plus de moyens de s’instruire : cours publics, bibliothèques, musées ; plus d’hommes éminens dans tous les genres ; plus d’occasions de se placer et de gagner de l’argent ; des emplois et des fonctions mieux rétribués, et, en même temps, pour ceux dont les revenus sont diminués, par suite d’un revers de fortune ou d’une mise à la retraite, plus de facilités pour se perdre dans la foule. La centralisation attire l’argent vers la capitale, et les hommes suivent l’argent. Déjà Mirabeau, l‘Ami des hommes, disait dans son énergique langage en parlant de Paris et de la France de son temps : « Une tête apoplectique sur un corps anémique. » Depuis lors, le mal s’est bien aggravé : tandis que, dans les provinces et surtout dans les campagnes, la population s’accroît très lentement ou même diminue, à Paris elle n’a cessé d’augmenter, malgré les guerres, les révolutions et les crises économiques.

En même temps que les causes d’attraction vers les chefs-lieux sont devenues plus nombreuses et plus puissantes, les motifs qui portaient à y résister ont disparu. Jadis la vie était chère dans les grandes villes, très bon marché en province. Aujourd’hui, les chemins de fer ont nivelé les prix, en enlevant les denrées là où elles abondent pour les porter là où elles sont le plus demandées. Ainsi souvent la marée coûte moins à Paris que dans les ports de mer. Sans les bateaux à vapeur, il eût été impossible d’approvisionner et de nourrir les 4 millions d’habitans de Londres ; maintenant rien n’empêche qu’ils ne s’élèvent un jour au double.

Cette énorme accumulation d’hommes au centre crée, en tout pays, une situation nouvelle et pleine de périls. Nulle part le contraste entre l’opulence et la misère ne se présente sous un aspect plus frappant que dans les capitales : c’est là qu’on rencontre, côte à côte, les plus grandes fortunes et les tableaux les plus désolans de l’extrême dénûment. Chaque jour, l’élite des oisifs étale tous les raffinemens d’un luxe tapageur aux yeux d’une foule d’ouvriers, qui n’ont pour subsister qu’un salaire parfois insuffisant. C’est donc là que les idées et les passions hostiles à l’ordre social actuel prennent le plus de violence et se répandent le plus rapidement. Et pourtant, c’est dans ces cités menacées de désordres et même d’insurrections, si par malheur l’autorité venait à être momentanément paralysée, qu’on a placé le siège du gouvernement. Les Américains ont été plus sages et plus prévoyans ; car, tant pour la Confédération que pour les états particuliers, c’est dans une petite ville que résident les représentait : ) du pouvoir et que se réunit le parlement. En France, l’enseignement si chèrement acheté de la Commune avait fait choisir Versailles dans le même dessein ; mais bientôt l’attrait de Paris l’emporta, et les