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du Muséum, tantôt aux entrepreneurs de quelque exposition[1] jusqu’aux ateliers particuliers de plusieurs jeunes peintres déjà célèbres, ou de survivans de l’ancienne Académie royale, jusqu’aux ateliers que David avait un peu partout, tant pour lui-même que pour ses nombreux élèves[2], — c’était, d’un bout à l’autre du Louvre, une succession de salles ou de galeries coupées dans leur hauteur par des entresols ou divisés tant bien que mal par des cloisons, suivant les besoins de chaque habitant ; des escaliers interrompus ou détournés de leur direction primitive ; des corridors dont on avait fermé une des issues pour y établir des cabinets de débarras ou des chambres ; c’était, suivant le témoignage d’un homme qui avait vécu dans ce dédale de voies incertaines et de demeures bizarrement enchevêtrées, « une suite de cahutes qu’on avait laissé maçonner intérieurement,.. et qui, tirant toutes leur jour de la grande cour, mettaient dans l’obscurité le reste des vastes galeries dont les murs, ainsi que les charpentes de la toiture, étaient à nu[3]. » Encore faut-il ajouter, sur la foi du même écrivain, que les outrages dont la grossièreté des mœurs romaines souillait alors le seuil des plus somptueux palais se renouvelaient ici effrontément : il était grand temps qu’un autre Hercule entreprît de nettoyer ces modernes écuries d’Augias continues aux lieux mêmes où s’assemblait le sénat des lettres-, des sciences et des arts, et à ce musée d’anciens chefs-d’œuvre maintenant plus riche, plus glorieusement peuplé que jamais.

Il y avait donc un double motif pour que l’Institut ne continuât pas d’être logé au Louvre : d’une part, la cessation nécessaire d’une promiscuité compromettante pour sa dignité, de l’autre l’obligation

  1. C’est ainsi que le tableau de David, les Sabines, fut exposé, du 21 décembre 1799 au mois de janvier 1801, dans la partie du Louvre où se trouvent aujourd’hui la salle dite des pastels et la première de celles qui renferment les objets provenant des collections de M. Thiers. On sait que, par une innovation qui lui fut vivement reprochée à cette époque et depuis lors, David, s’autorisant des usages admis pour les exhibitions anglaises, exigea de ceux qui venaient voir son tableau le paiement d’un droit d’entrée. La somme qu’il se procura par ce moyen s’éleva, dit son petit-fils, à 72,000 livres. » (Le peintre Louis David, p. 387.) Lorsque David eut ouvert cette exposition au Louvre, Regnault voulut en organiser une pour son propre compte sous le même toit et dans les mêmes conditions ; mais, loin d’attirer la foule comme les Sabines, ses tableaux, — Hercule délivrant Alceste, la Mort de Cléopâtre et les Trois Grâces, — obtinrent à peine les regards et les offrandes de-quelques curieux.
  2. Des ateliers à l’usage de David ou à celui des jeunes gens auxquels il donnait ses leçons, plusieurs se trouvaient dans ce qui forme aujourd’hui la cage du grand escalier, construit sous le premier empire à l’angle de la colonnade et de la face nord du Louvre. Un autre atelier, dans lequel David exécuta son tableau des Sabines, avait été pratiqué dans les combles de la partie du palais qui fait face au pont des Arts.
  3. Delécluze, Louis David, son école et son temps, p. 16.