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d’opérations s’allongent et que l’on porte la guerre dans des mers plus éloignées : il importe d’ailleurs de remarquer que ces lignes ne se confondent pas avec les lignes d’opérations : en effet, des raisons momentanées et d’ordres très divers, politique, militaire ou nautique, peuvent obliger une flotte à employer une route détournée pour se rendre sur le théâtre de la guerre ; mais sa ligne de communications, celle que suivront ses renforts et ses approvisionnemens, doit se rapprocher de la ligne droite, ou du moins du plus court chemin.

On reconnaît à la fois l’existence et l’importance des lignes de communications pour les armées navales, quand on étudie certaines routes maritimes, comme celle qui conduit du nord de l’Europe dans les contrées de l’extrême Orient, et que marquent d’un trait caractéristique cinq défilés inévitables, les détroits de Gibraltar et de Sicile, le canal de Suez, les détroits de Bab-el-Mandeb et de Malacca. Ces défilés sont aujourd’hui dans les fortes mains d’une nation dont on ne peut trop admirer ni trop redouter la prévoyante et tenace énergie. L’occupation successive de la vieille forteresse de Tarik, de l’île de Malte, de Port-Saïd et de Suez, de Périm et d’Aden, de Singapore et de Hong-Kong restera longtemps comme la preuve frappante de la persévérance et de l’unité des vues politiques chez une aristocratie qui n’a pas son égale en Europe pour la valeur intellectuelle, et qui a conduit l’Angleterre à de si hautes destinées.

Qu’on ne croie pas d’ailleurs que la précision des indications fournies par les accidens géographiques puisse diminuer le mérite du gouvernement anglais. Avant que le canal de Suez fût percé, sa ligne de communications avec les Indes était nettement jalonnée autour de l’Afrique par les points de Bathurst, l’Ascension, Sainte-Hélène, le Cap, les Seychelles ou l’île de France, dont nos acharnés ennemis avaient salué la prise avec tant de joie, en 1810.

Encore ne parlé-je pas des îles du Cap-Vert, du port précieux de la Praya, aux mains du Portugal, devenu lui-même comme une colonie anglaise.

Mais un enseignement immédiat se dégage de ces considérations, c’est que, au contraire de celles des armées, les lignes de communications des flottes peuvent et doivent être établies d’avance, dans le temps de paix : c’est encore là un point où se séparent les deux stratégies.

Il est en effet presque toujours facile à une armée qui progresse de créer en peu de temps sur sa ligne de communications des points d’appui doués d’une suffisante résistance : des fortifications passagères ou semi-permanentes, des palissades, des ouvrages en terre, quelques bataillons, quelques bouches à feu en font les