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jusqu’ici hors de nos arsenaux, dont l’entretien aux colonies exigerait un personnel technique, des magasins, des ateliers dispendieux, et dont la conservation, dans ces régions chaudes et humides, inspire à tous les hommes compétens des doutes autorisés. Le service de l’artillerie navale anglaise n’exprimait-il pas dernièrement la crainte que les propriétés des poudres lentes ne s’altérassent pendant leur séjour dans les pays chauds ?

Ainsi, à moins d’engager des dépenses considérables, dont les fruits ne sont même pas assurés, nous ne pouvons plus constituer de fortes lignes de communication aux divisions navales destinées à opérer dans les mers lointaines ; nous ne pouvons plus nous flatter de créer dans nos colonies des bases secondaires pour nos grands croiseurs modernes.

Il faut s’y résigner : dès que l’on donne à ces navires la protection des blindages métalliques, dès qu’on les dote d’une machinerie compliquée, de canons longs brûlant des poudres lentes et manœuvrés par des appareils hydrauliques, de torpilles automobiles, d’un éclairage électrique intérieur et extérieur, dus qu’on en fait, en un mot, des cuirassés mal déguisés sous le nom de croiseurs protèges, on les ramène fatalement dans la zone d’influence des grands arsenaux.

Pour vouloir exalter certaines de leurs facultés, on diminue leur rayon d’action, dont la grandeur est le facteur essentiel de leur puissance, et s’il est vrai de dire que la guerre d’escadre sera rivée à la côte, il ne l’est pas moins d’affirmer que la guerre des croiseurs se localisera dans les eaux de l’Europe.


IV

Faut-il, au demeurant, le regretter beaucoup ? Sans doute la protection de notre commerce dans les mers lointaines pourra en souffrir ; moins cependant que d’aucuns semblent le croire. Notre marine marchande subit largement les effets de la révolution qui, peu à peu, fait passer l’industrie des transports des navires à voiles aux bâtiments à vapeur, et, j’ajoute, aux grands vapeurs. Si le nombre total de nos navires diminue, celui de nos paquebots augmente, et leur tonnage moyen, surtout, s’accroît avec une rapidité significative. C’est une loi générale : il est moins coûteux pour une compagnie maritime d’entretenir dix grands vapeurs que quinze navires moyens qui ne draineraient pas une plus grande quantité de marchandises. Or les grands paquebots acquièrent chaque jour une allure plus rapide et voient par conséquent s’augmenter leurs chances d’échapper aux croiseurs mixtes à vitesse moyenne qui,