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Simple et douce comme une colombe, telle aurait été la mère de ce terrible cardinal. La petite bourgeoise qu’elle était devait se trouver bien gênée dans cette maison de Richelieu que les prétentions emplissaient, plus encore que les titres et les services.

Pourtant ces qualités modestes ne restèrent pas sans emploi. Elle avait pris, dans l’air de l’étude, une teinture des affaires que la nécessité accrut et développa. Si les poètes parlent fort peu d’elle, les notaires la connaissent et ont souvent écrit son nom. Elle avait ce que nous appelons aujourd’hui le sens pratique. Richelieu pensait probablement à sa mère lorsqu’il écrivait quelque temps après l’avoir perdue : « La science d’une femme doit consister en modestie et retenue. Celles doivent être dites les plus habiles qui ont le plus de jugement. Je n’en ai jamais vu de fort lettrée qui n’ait tiré beaucoup d’imperfection de sa grande connoissance. »

Cette qualité du jugement, — rare chez toutes les femmes, un peu moins rare peut-être chez nos Françaises, — appartenait à la fille des La Porte et des Bochart. Sa fortune et celle de ses enfans furent remises peu à peu, par elle, en meilleur état.

À ce point de vue, la situation de la veuve du grand-prévôt était vraiment pénible. Non que les apparences de la richesse lui manquassent. On peut énumérer plusieurs propriétés qui lui appartenaient, ou bien à ses enfans : Richelieu, La Vervolière, Le Chillou, Châteauneuf, Coussay-lès-Bois, Le Petit-Puy, etc. Mais ces propriétés, pour la plupart couvertes de constructions et closes de murailles, étaient beaucoup plus pour l’apparat que pour l’utilité et le rapport. Dans ces temps de troubles, leur garde et leur entretien imposaient de lourdes charges. Elles rapportaient peu. Le paysan pillé, traqué, abandonnait les champs. Si une maigre moisson mûrissait, c’était l’ennemi qui la récoltait.

En outre, des dettes considérables écrasaient une fortune déjà si obérée. Le grand-prévôt avait voulu faire figure à la cour ; puis il avait essayé de se sauver par des spéculations malheureuses. Sa mort soudaine avait anéanti les espérances et n’avait plus laissé que la cruelle réalité de la ruine.

Heureusement Henri IV n’était pas resté dans l’ignorance ni dans l’insouciance de cette situation cruelle. Certaines mentions relevées sur les registres de comptes nous permettent d’affirmer qu’il venait en aide à la veuve de son fidèle serviteur. En 1593, il lui fait attribuer 20,000 livres ; en 1594, il lui confère la nomination à une abbaye dont la récompense valut 15,000 livres. Dès 1608, le fils aîné, Henri du Plessis, est inscrit sur l’état des pensions pour une somme de 3,000 livres. Mais le plus puissant secours vint de la jouissance des revenus