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Des moyens d’affermir la constitution de l’état, chapitres VII et VIII, De la censur et, De la religion civile. Ce livre ne l’avait jamais trompé : « Il y a une profession de foi purement civile dont il appartient au souverain de fixer les articles… Sans pouvoir obliger personne à les croire, il peut bannir de l’état quiconque ne les croit pas… Les dogmes de la religion civile doivent être simples… L’existence de la divinité puissante, intelligente, bienfaisante, prévoyante et pourvoyante, la vie à venir, le bonheur des justes, le châtiment des méchans, la sainteté du contrat social et des lois ; voilà les dogmes positifs. » La convention décréterait cette religion, les citoyens la pratiqueraient, les méchans seraient confondus. La vertu étant à l’ordre du jour de la république, le grand pontife, chef de l’état et maître des cœurs, serait, en toute simplicité d’âme et en toute innocence de vie, le censeur des mœurs, l’inquisiteur des vices, le dispensateur de la justice et l’apôtre de la vérité. À cette hauteur, l’incorruptible deviendrait enfin l’invulnérable.

Le 18 floréal, — 7 mai 1794, Robespierre, — fit porter ce décret : « Le peuple français reconnaît l’existence de l’Etre suprême et de l’immortalité île l’âme. » Voilà le dogme. L’inquisition suivit. Le 8 mai, Couthon proposa et la Convention adopta une loi de police générale qui plaçait toute la surveillance de l’état entre les mains du comité de salut public. Ces législateurs grossiers et infatués croyaient renouveler la face du monde, et ne faisaient en réalité que rejeter une société très raffinée et très civilisée dans les ornières primitives de l’humanité. Pour s’emparer du pouvoir, ils avaient eu recours au moyen élémentaire des chefs de peuplades sauvages : la peur. Pour consacrer et soutenir ce pouvoir, ils montaient à l’échelon supérieur des peuples barbares : le gouvernement théocratique.

La Convention ratifiait tout. Elle avait traversé, en quelques mois, toutes les époques du sénat de Home. Elle semblait, comme ce sénat, n’avoir fait « évanouir tant de rois que pour tomber elle-même dans le honteux esclavage de quelques-uns de ses plus indignes citoyens, et s’exterminer par ses propres arrêts[1]. » Les séances étaient précipitées et comme éteintes. Tous les députés qui y trouvaient quelque prétexte se réfugiaient dans les bureaux des comités d’affaires. Ils s’y claquemuraient, fermant les yeux et les oreilles aux mouvemens de l’assemblée, et n’en sortaient que pour porter, comme subrepticement, un rapport à la tribune. En toute matière politique, la convention attendait les injonctions du comité. Les triumvirs arrivaient, précédés d’une poignée de

  1. Grandeur et décadence des Romains, ch. XV.