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docile que la planche aux assignats : il n’aurait plus qu’à étendre la main pour faire de la vertu, comme on faisait de la monnaie, en tournant la mécanique.

Le 7 thermidor. — 25 juillet. — une députation des Jacobins se présenta à la barre de la Convention ; elle déclara que les patriotes étaient opprimés et demanda que l’assemblée fit trembler les traîtres et rassurât les gens de bien. Robespierre spéculait sur l’effarement de ses ennemis ; il attendait d’eux quelque éclat d’indignation à la Vergniaud, quelque énorme témérité à la Danton, aveux qui les livreraient. Il comptait sans la consternation qu’il avait répandue lui-même et sans la fourbe de son élève, devenu dès lors son maître en astuce terroriste, parce qu’il avait, avec moins d’arrière-pensées d’ambition et sans aucune prétention pontificale, un sentiment très clair de sa peur et de sa lâcheté. Barère répondit aux délégués jacobins par une apologie de Robespierre. Il le défendit contre les calomniateurs qui l’accusaient de préparer un nouveau 31 mai ; il assura que l’union la plus parfaite régnait entre les comités et que le péril serait aisément conjuré « par la démarcation des hommes purs et des fripons, par une meilleure justice, par l’accélération du jugement des détenus et la punition prompte des contre-révolutionnaires. » La Convention vota l’impression de ce discours et les modérés se félicitèrent de leur prudence.

Robespierre s’y méprit et se crut le maître. Il jugea le moment venu de revenir à la Convention et de frapper le dernier coup. Il avait eu le temps de polir sa harangue : il y mit tout son talent : une rhétorique puérile, et toute sa pensée, un anathème : « Je ne connais, dit-il le 8 thermidor, que deux partis : celui des bons et celui des mauvais citoyens. Quel est le remède ? Punir les traîtres, renouveler les bureaux du comité de sûreté générale, épurer le comité de salut public lui-même, constituer l’unité du gouvernement sous l’autorité suprême de la convention nationale. » Puis, s’adressant à la plaine : « Le patriotisme n’est point une affaire de parti, mais une affaire de cœur… Je sens que partout où l’on rencontre un homme de bien, en quelque lieu qu’il soit assis, il faut lui tendre la main et le serrer sur son cœur. » Il plaçait ainsi les bons à sa droite ; il montra les méchans à la gauche, mais il les montra du haut de l’autel, en pontife dépositaire de la foi : « Non, Chaumette, non, Fouché, la mort n’est pas un sommeil éternel. Citoyens, effacez des tombeaux cette maxime impie qui jette un crêpe funèbre sur la nature et qui insulte à la mort ; gravez-y plutôt celle-ci : la mort est le commencement de l’immortalité. » Chaumette était guillotiné ; quant à Fouché et à ses pareils, ils se souciaient fort peu de l’immortalité, et l’échafaud que Robespierre leur destinait leur semblait l’insulte la plus impie