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de Galilée s’accordaient sans effort dans l’entendement des contemporains de Leibniz.

Revenons à nos crânes. En voici des boisseaux, de tous les siècles, de toutes les races, de tous les pays. Que la science est donc une belle chose, et qu’on est infirme sans ses lumières ! Évidemment, ceux qui savent découvrent une infinité d’indices sur ces fronts blanchis d’où la pensée s’est envolée ; ils y lisent les caractères spécifiques des cervelles qui remplirent ces boîtes, leurs perfectionnemens graduels dans le temps, depuis l’homme quaternaire jusqu’à celui de la troisième république, dans l’espace, depuis le Boschiman jusqu’au Parisien, dans l’intelligence, depuis l’idiot jusqu’au génie, dans la vertu, depuis l’assassin Collignon jusqu’à M. de Montyon. Pour moi, qui n’en sais pas beaucoup plus long que le fossoyeur d’Hamlet, et qui ferais mal la différence du crâne de Yorick à celui d’Alexandre, je ne vois rien. L’ignorance fait naître des doutes injurieux. On me montre des crânes classés en série d’après leur provenance ; j’ai toujours envie de demander la contre-épreuve, l’indication de la provenance sur des pièces que j’aurais choisies. Je demeure rêveur devant une armoire pleine de « crânes belges, » depuis la plus haute antiquité jusqu’à nos jours ; si quelque main malicieuse secouait une nuit cette armoire, après avoir effacé les numéros d’ordre, tomberait-on d’accord le lendemain pour remettre à leurs places respectives le chasseur de la forêt nervienne et l’habitant actuel, de, la Montagne-aux-Herbes ? Le calcul des probabilités nous invite à parier que oui, mais pas trop cher. Les affirmations des personnes, les plus doctes achèvent de me troubler. Un savant allemand a dessiné là l’homme de Néanderthal tel qu’il se le représente d’après un crâne fameux : poilu, prognathe, le iront fuyant. Cette esquisse donne un type intermédiaire entre un beau chimpanzé et un vilain homme. Le savant allemand devait avoir de bonnes raisons, j’y voudrais croire : mais d’autres me dissuadent. M. Godron a publié un dessin reproduisant la tête de saint Mansuy, évêque de Toul ; ce saint exagère les traits les plus saillans de l’homme de Néanderthal ; et M. Vogt a cité l’exemple d’un de ses amis, médecin distingué, qui se trouve dans le même cas. Un autre spécimen célèbre de l’homme quaternaire est le vieillard de Cro-Magnon ; or M. Broca a trouvé que la capacité crânienne de ce lointain ancêtre est notablement supérieure à, celle d’un Parisien du XIXe siècle. Où est le progrès, alors ? Peut-être sur ce tableau, où l’on a comparé les moyennes de trois séries ainsi qualifiées : Parisiens quelconques, — assassins, — hommes distingués. La moyenne de la dernière catégorie est sensiblement supérieure aux deux autres, mais il est triste de penser que les Parisiens quelconques diffèrent à peine des assassins par