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sentent pourtant trembler sous leurs pas, c’est par eux qu’elle a été ébranlée : c’est leur œuvre !

C’est fort bien, assurément, de s’ériger aujourd’hui en défenseurs des libertés parlementaires menacées, de la constitution mise en doute, de combattre des révisions indéfinies qui ne feraient que livrer de nouveau la France à toutes les entreprises, à toutes les aventures. C’est fort bien. C’eût été encore mieux d’y songer plus tôt. Car enfin, si on parle sérieusement, si la révision est un danger, qui donc a préparé les esprits à cette perpétuelle instabilité ? C’est M. Jules Ferry lui-même qui le premier, il y a quelques années, a ouvert la brèche dans la constitution. C’est lui qui le premier, sans raison, sans nécessité, a inauguré l’ère des révisions, uniquement pour se donner le plaisir de supprimer quelques articles constitutionnels assez inoffensifs et surtout pour modifier la composition du sénat dans un intérêt de parti. M. Jules Ferry a ouvert la voie. Il a eu sa révision en diminuant le sénat, à qui il a même fait un jour, sans façon, le compliment qu’il n’avait aucune influence à exercer sur les ministères et sur la politique du pays. M. Floquet a voulu avoir sa révision en annulant encore plus le sénat. D’autres, à leur tour, ont leur révision toute prête en supprimant complètement le sénat. Tout s’enchaîne, il n’y a que le premier pas qui coûte. Si l’inviolabilité constitutionnelle est un bienfait, la dernière et unique garantie d’une certaine stabilité dans la république, ce sont les républicains, opportunistes aussi bien que radicaux, qui ont porté la première atteinte à cette inviolabilité, qui n’ont cessé de violer la constitution dans son esprit, dans ses règles, dans ses ministres. C’est sous leur règne, sous la contrainte exercée par eux, que deux présidens de la république ont déjà été obligés d’abdiquer leur mandat. M. Grévy n’a pas été plus heureux que M. le maréchal de Mac-Mahon. Si le régime parlementaire, auquel on s’efforce de se rattacher aujourd’hui, est si violemment assailli, si menacé, si malheureusement frappé d’impuissance, c’est qu’en vérité on a tout fait pour en affaiblir l’efficacité et en ternir l’honneur ; c’est qu’on a faussé tous les ressorts des institutions parlementaires par un système qui n’a cessé de tendre à limiter ou à contester les droits du sénat, à réduire la présidence de la république au rôle d’une autorité subordonnée et inactive, pour faire de la chambre seule, d’une chambre le plus souvent anarchique et stérile, une sorte de pouvoir omnipotent, agité et usurpateur, jouant à la Convention.

Eh ! sans doute, le régime parlementaire par lui-même, compris dans sa vérité, pratiqué avec une intelligence prévoyante et le respect de tous ses droits, reste le plus noble et le plus efficace de tous les régimes, la garantie la plus sérieuse de toutes les libertés, de l’intégrité des lois, d’une administration vigilante de l’état. Il reste l’idéal des esprits libéraux ; mais ce qu’on nous en a donné depuis quelques