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sur tous ces points en un mot la paix soit menacée à courte échéance. La situation reste ce qu’elle était sur le continent.

D’où pourraient venir, à l’heure qu’il est, les complications dans les affaires européennes ? Elles pourraient peut-être venir de la Bulgarie si, comme on l’a dit depuis quelques jours, le prince Ferdinand se décidait à un coup de tête, à une proclamation de l’indépendance bulgare et rouméliote qui serait une violation de plus du traité de Berlin, qui mettrait les puissances dans l’alternative de s’entendre ou d’avouer leurs conflits. Elles pourraient bien aussi sortir un jour ou l’autre de ces malheureuses affaires de Crète qui, loin de se simplifier, semblent s’aggraver et par la durée même de l’insurrection, et par les répressions que la Porte s’est décidée à exercer, et par l’intervention diplomatique de la Grèce. Après avoir laissé se développer et se prolonger dans l’île de Crète des mouvemens intérieurs qui, à l’origine, auraient pu sans doute être aisément réprimés, la Porte, sortant de son inertie, a fini par se résoudre à une action énergique. Elle a envoyé un personnage de quelque importance, naguère encore ambassadeur à Saint-Pétersbourg, Chakir-Pacha, avec le pouvoir de décréter l’état de siège, d’instituer des cours martiales, de prendre en un mot tous les moyens nécessaires pour rétablir la paix. Jusqu’à quel point ces moyens seront-ils efficaces ? Ils sont peut-être tardifs : toujours est-il que la guerre sévit entre chrétiens et musulmans. Les massacres se succèdent. De malheureux habitans des campagnes n’échappent à la fureur des bandes ennemies qu’en se réfugiant dans les villes. C’est déjà assez sérieux. Ce qui complique tout, c’est l’intervention de la Grèce qui a cru devoir adresser à toutes les puissances une circulaire diplomatique qui est, après tout, le procès de la domination turque et un appel plus ou moins déguisé à l’action européenne. La Porte, à son tour, a naturellement répondu en revendiquant ses droits, en faisant aussi un peu le procès des chrétiens mêlés à l’insurrection. De sorte que tout se réunit, la guerre qui ravage l’île de Crète et une question diplomatique portée devant les cabinets, La plupart des puissances, même celles qui ont toujours porté l’intérêt le plus vif à la Grèce, paraissent avoir accueilli avec une froide réserve l’appel hellénique. Elles ne pouvaient, en effet, ni méconnaître les droits souverains de la Porte dans les limites de l’empire, ni reconnaître à la Grèce le droit de se mêler des affaires de Crète. La situation est assez compliquée ; elle pourrait le devenir bien plus encore si les Turcs ne réussissaient pas promptement à en finir avec l’insurrection, si l’île de Crète restait un foyer incandescent de plus en Orient. Il s’agit d’empêcher que la question devienne européenne. Ce que ces puissances ont de mieux à faire pour le moment, c’est d’engager la Porte à compléter son action répressive par des concessions propres à désarmer ou à désintéresser les Crétois, et de décourager les velléités agitatrices du cabinet d’Athènes, dont le