Page:Revue des Deux Mondes - 1889 - tome 95.djvu/317

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

philosophie future pourra appeler du nom de conscience morale. Rentrer, comme on dit, dans sa conscience, c’est simplement faire effort pour prendre conscience d’autrui et de tous comme de nous-même, pour réaliser en nous la réalité même des autres et de tous les êtres, pour les voir par le dedans comme ils se voient, pour les sentir comme ils se sentent, pour les vouloir comme ils se veulent. Quiconque monte ainsi vers la conscience universelle monte vers la moralité. À ce point de vue, le précepte moral deviendra : — Agis comme si tu étais la conscience universelle. — Dès qu’un être est capable de concevoir les autres êtres et la totalité des êtres, et, qui plus est, l’être même en son unité, soit actuelle, soit à venir, comment pourrait-il être satisfait intellectuellement d’une action égoïste, d’une action par laquelle la partie s’érige en tout, se subordonne le tout ? Il y a là non pas seulement quelque chose d’illogique, ce qui ne serait qu’une affaire déforme, mais une irrationalité fondamentale, et aussi une conscience imparfaite de notre vrai moi comme du tout. L’immoral apparaîtra donc aux philosophes comme étant l’irrationnel, et, en une certaine mesure, l’inconscient.

Si la terre pouvait parler et disait : — « J’ai conscience de moi, mais de moi seule ; je me vois, je me sens, je me veux et je me suffis, » un Newton ou un Laplace pourrait lui répondre : — « votre conscience de vous-même n’est qu’une petite portion de conscience ; si vous vous aperceviez réellement, vous apercevriez en vous l’action du Soleil, de Mercure, de Mars, de Vénus, de Jupiter et de toutes les planètes ; vous verriez en vous tout le système solaire et même stellaire. Loin de vous suffire à vous-même, vous n’existez que dans l’univers et par l’univers ; vous ne pouvez donc avoir la pleine conscience de votre existence que dans la conscience de l’existence universelle. L’aveuglement d’où naît l’égoïsme consiste à prendre le moi pour le monde et la partie pour le tout. »


II

Si la morale future peut trouver une première base dans la constitution essentielle de la conscience, elle en trouvera une plus intime encore et plus ; profonde dans la constitution de la volonté. A mesure que l’on comprendra mieux la nature à la fois individuelle et universelle de l’intelligence, on verra qu’elle implique, la nature également individuelle et universelle de la volonté même, ainsi que de la sensibilité qui en est inséparable. Les épicuriens et les utilitaires ; se sont Imaginé que la volonté était uniquement et exclusivement « gravitation sur soi. » Tandis que, dans les