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de reconnaître sa voie ; mais, malgré le souvenir bienveillant que le pape Pie VII gardait du peintre qui avait fait à Paris son portrait, l’autorisation de résider à Home lui fut refusée. David se décida alors à chercher un asile en Belgique, où il devait bientôt être rejoint par quelques-uns des anciens conventionnels bannis avec lui ; et, comme le raconte le plus récent et le mieux informé de ses biographes[1], ce parti une fois pris, il se rendit dans les bureaux du ministère de la police pour y retirer son passeport. Ce fut le ministre lui-même, M. Decazes, qui voulut recevoir sa visite ; il s’efforça de le dissuader de tout projet de départ, au moins immédiat. « Cette loi, lui dit-il, n’est pas faite pour vous, monsieur David. Le roi ne peut consentir à priver la France de celui qui, aux yeux de l’Europe entière, tient le sceptre des arts. Restez à Paris ; je puis vous y promettre la sécurité. »

David crut devoir résister à ces témoignages de bon vouloir et à ces promesses. Avec plus de dignité qu’il n’en avait montré dans d’autres circonstances, il ne voulut pas d’une faveur dont il eût, seul de tous les proscrits, profité, et il alla même jusqu’à déclarer au ministre que, si celui-ci persistait à lui refuser un passeport pour prendre le chemin de l’exil, il demanderait aux tribunaux de « reconnaître son droit, » c’est-à-dire d’assurer l’exécution de la loi qui l’avait condamné. Le matin du jour où il devait quitter Paris, il se rendit, comme à l’ordinaire, à l’atelier de ses élèves[2] ; il examina leurs travaux, leur adressa pour l’avenir des recommandations dans lesquelles il entendait résumer en quelque sorte l’esprit de son enseignement : après quoi il se sépara d’eux, en laissant voir une émotion d’autant plus touchante pour ceux qui en étaient les témoins qu’elle contrastait davantage avec la rudesse accoutumée de son caractère et de ses manières. Quelques heures plus tard, il partait, accompagné de sa femme, pour Bruxelles, où il devait mourir au bout de neuf ans (29 décembre 1825), sans que le dévouement filial de Gros et ses infatigables démarches auprès des ministres pour faire prononcer le rappel de son ancien maître eussent réussi à obtenir rien de plus que des paroles de courtoisie et l’acquisition, en 1819, pour le Musée royal, du tableau

  1. Voyez le Peintre Louis David. Souvenirs et document inédits, par Jules David, son petit-fils.
  2. L’atelier des élèves de David, qui devint plus tard celui des élèves de Gros, occupait à cette époque une salle à rez-de-chaussée du bâtiment à gauche, dans la première cour du palais de l’Institut. Cette salle, contiguë au vestibule de l’escalier par lequel on monte à la Bibliothèque Mazarine, est, depuis quelques années, affectée au service de cette bibliothèque.