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ce qu’elles seraient dans des temps moins périlleux et dans des circonstances moins difficiles.

Quatremere de Quincy, en effet, avait eu, pendant tout le cours de la Révolution, des dangers de plus d’une sorte à affronter, des persécutions sans cesse renaissantes à subir. Décrété d’abord d’arrestation au mois de septembre 1793, à la suite d’une dénonciation rédigée par Marat lui-même sous le nom d’un de ses séides, il avait excipé d’une décision de la Convention relative aux fonctionnaires publics déclarés suspects pour réclamer, en sa qualité d’administrateur du Panthéon, sa « mise en surveillance sous la garde, » à ses frais, « de deux citoyens. » On lui avait provisoirement accordé cette « faveur ; » mais, au commencement de l’année suivante, un nouveau mandat d’arrêt lancé contre lui, cette fois, par le comité de sûreté générale de la Convention et portant, entre autres signatures, celle de David, avait eu pour résultat son incarcération aux Madelonnettes. Là, il avait attendu la mort dont, heureusement, la chute de Robespierre le préserva, en employant son temps avec un singulier calme d’esprit à modeler un groupe de l’Amour et l’Hymen et quelques figurines, — sur des sujets aussi peu de circonstance à ce qu’il semble en pareil lieu, — pour lesquelles il se servait d’une terre relativement propre à la plastique, qu’il avait découverte dans le préau de la prison[1]. Survinrent, en 1795, les journées du 13 et du 14 vendémiaire. Quatremère, qui venait d’être élu président de la section de la Fontaine de Grenelle, marcha à la tête de cette section parmi ceux que le jeune général Bonaparte allait mitrailler sur les degrés de l’église de Saint-Roch. Condamné à mort comme contumace pour cet essai de résistance à la domination tyrannique de la Convention, il s’était, en se cachant à Paris même, dérobé aux perquisitions décrétées contre lui ; mais lorsque, devenu membre du conseil des Cinq-Cents en avril 1797, il se vit, six mois après, inscrit sur la liste de proscription dressée par La Revellière-Lepeaux et par ses deux complices du Directoire, il se décida à aller chercher hors de France un asile qu’il eût été au moins imprudent d’essayer de trouver une seconde fois à Paris. Il ne revint qu’après le 18 brumaire, contre-coup naturel et inévitable du 18 fructidor, et reprenant alors, pour ne plus les abandonner

  1. Quatremère de Quincy s’était laissé absorber si complètement par le travail, il s’était si bien épris de sa tâche que lorsque, après le 9 thermidor, les portes de la prison lui furent ouvertes, il demanda comme une grâce de prolonger son séjour aux Madelonnettes, afin de pouvoir terminer sur place une de ces statuettes que son départ eût laissée inachevée. Il resta donc plusieurs jours volontairement emprisonné, au risque d’attendre indéfiniment le nouvel ordre d’élargissement que son refus de mettre à profit le premier avait rendu nécessaire.