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l’œuvre de Beethoven, où se trouvent très adroitement résumées les principales publications antérieures.

Il faut bien avouer pourtant que ni les deux volumes de M. de Wasielewski, ni aucun des livres que nous avons cités, ne parviennent à nous donner de Beethoven une idée nette et satisfaisante. Tantôt ils nous font suivre les événemens de sa vie, tantôt ils nous présentent les formes successives qu’ont revêtues ses œuvres dans son esprit, ou les diverses qualités que renferme sa musique. Mais nous ne voyons toujours pas les liens qui ont rattaché ces œuvres à cette vie, les raisons matérielles et morales, les influences de toute sorte qui ont amené Beethoven à jouer dans l’histoire de son art le rôle qu’il y a joué. D’une part, un musicien quelconque, dont la biographie est scrupuleusement reconstituée ; d’autre part, des compositions analysées et appréciées avec plus ou moins de justesse : on ne nous a donné rien de plus, et il ne semble pas que quelqu’un se soit jamais sérieusement efforcé d’éclairer l’une par l’autre ces deux études juxtaposées.

Cette biographie toute extérieure suffirait peut-être pour des musiciens comme J.-S. Bach ou comme Haydn, dont l’œuvre s’explique d’elle-même, n’étant que le développement naturel et suivi d’une forme acceptée d’avance. Elle suffirait moins déjà pour Mozart, qui a renouvelé spontanément sa manière, dans un âge assez avancé, et sous l’effet de circonstances qu’il importe de connaître. Mais si l’on songe que Beethoven a sans cesse modifié la forme de son art, et qu’il l’a modifiée dans un sens de simplification classique, exactement à l’inverse du goût de son époque, on comprendra combien il serait précieux de connaître les qualités natives, et plus tard les motifs du dehors ou du dedans qui l’ont guidé dans les diverses évolutions de son génie. Ajoutons que Beethoven n’était pas, comme affectait d’être Goethe, un artiste olympien, puisant au dehors de sa vie personnelle les élémens de son œuvre : il a toujours créé sa musique sous l’inspiration directe de ses propres sentimens, et on risque de ne pas le bien comprendre, si l’on ignore l’espèce d’homme qu’il a été.

Il y aurait donc intérêt à tenter, à l’aide de tous les faits connus, une biographie plus complète, et pour ainsi dire plus psychologique de Beethoven, expliquant les relations mutuelles de son œuvre et de sa vie. Malgré la part d’hypothèse qu’elle contiendrait toujours, une telle étude serait peut-être la plus instructive et la meilleure des critiques. Malheureusement trop de points, dans l’existence de Beethoven, et notamment dans les dernières années, restent obscurs ; trop de lettres sont encore inédites ; M. Thayer fait attendre indéfiniment la suite de son précieux ouvrage : et il y