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fine pour que la surdité, qui lui est venue à trente ans, ne l’ait pas empêché de composer et de chercher sans cesse à perfectionner la technique de son art. Qu’on ne l’oublie pas, Beethoven commençait à être sourd lorsqu’il a écrit sa première symphonie, et il n’avait pas entendu un orchestre depuis des années lorsqu’il imagina, avec la symphonie en fa, une orchestration nouvelle, la plus sonore et la plus fondue qui soit. Il semble de même que, avant le temps où son art et sa condition de vie lui en ont fait perdre toute notion, Beethoven ait eu une perception très délicate des apparences visuelles. Son amour pour la nature, qui n’avait rien de lyrique et de romanesque, mais était chez lui un besoin des yeux, son goût naturel pour certaines couleurs, tout cela achève de montrer qu’il était de ce pays des peintres et des instrumentistes, de cette Flandre qui nous a laissé un art uniquement fait de sensations justes et précises.

La Flandre a encore communiqué à Beethoven son sage bon sens : c’est elle qui l’a préservé des écarts où auraient pu l’entraîner son isolement et les méditations philosophiques qu’il aimait. C’est elle qui lui a donné, d’instinct, cette direction artistique si simple et si forte, d’où rien par la suite ne l’a pu départir. C’est à elle que Beethoven a dû la faculté de jugement qui apparaît dans ses lettres ; dans ses conversations, qui l’a mis à même, illettré qu’il était, d’aborder les questions les plus hautes et les œuvres les plus abstruses. La façon dont il a compris le côté musical de Fidelio, plus tard l’histoire de ses travaux pour la Messe en , attestent encore la native sagesse d’un esprit lucide, raisonnable, marchant droit aux choses nécessaires.

Enfin nous croyons que Beethoven doit à son origine flamande le goût qu’il a toujours eu des grandes compositions bien solides, ce goût qui donne à chacune de ses œuvres un aspect de saine puissance. C’est le trait d’une race sanguine et pleine de bon sens : il était déjà dans l’âme des van Eyck : il a triomphé dans le génie de Rubens, — encore un Flamand né en Allemagne ; — il a fait plus tard, hélas ! les Wiertz et les Peter Benoit. Pour être infiniment plus nuancée et plus exempte d’artifices, l’œuvre de Beethoven rappelle d’ailleurs par plus d’un point l’œuvre immortelle de Bubons : elle en a l’entrain fougueux, la robuste verdeur, l’intense vie, et, somme toute, la joie héroïque.

C’est plus spécialement à l’influence personnelle de son grand-père que Beethoven a dû l’énergie de l’âme qui l’a soutenu dans son enfance contre la misère et les chagrins de toute sorte, qui plus tard lui a permis de continuer son chemin à travers les infirmités, les maladies, l’abandon et la pauvreté. Ses manières brusques et