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assurément déplaire à une créature si fantasque et galante qui, en 1813, à l’âge de quarante-trois ans, s’éprenait de l’Ermite de la Chaussée d’Antin, d’Etienne de Jouy : du moins son roman d’Alvar, ses lettres, son esprit alerte, font-ils regretter que ses Mémoires manuscrits, ses portraits de contemporains ne nous soient point parvenus. Sous l’empire, elle va aux réceptions de la cour, après avoir fréquenté avec Montrond les salons du directoire et du consulat. — Aimez-vous toujours les hommes ? lui demanda Napoléon. — Oui, sire, quand ils sont polis, osa-t-elle riposter. — Elle est de la famille intellectuelle de cette Mme de Coislin qui rabroua si lestement Fouché : reçue fort cavalièrement par le ministre auquel elle venait demander la radiation de sa sœur, elle prend un siège qu’on ne lui offre pas, et, avec la plus aristocratique désinvolture, répond à Fouché qui objecte les propos hostiles, les imprudences de Mme d’Avaray : « Ma sœur, imprudente ! Oh ! monsieur, je vois bien que vous ne la connaissez pas. Qui donc a pu vous la peindre ainsi ? Mais elle est poltronne au point que, si elle était à ma place, reçue par vous comme je le suis en ce moment, elle n’oserait pas seulement vous dire que vous êtes un impertinent. » Mme de Coislin obtint tout ce qu’elle désirait.

Abreuvé de dégoûts de tout genre, souffrant de la goutte et de rhumatismes, dénoncé au comité de salut public, Biron envoya sa démission le 10 juillet 1793 et vint à Paris pour répondre en personne à ses accusateurs. Il fut aussitôt arrêté, conduit à Sainte-Pélagie, puis transféré à l’Abbaye. Jean-Bon Saint-André, qui demandait son rappel, sans toutefois l’accuser d’une manière positive, observa que les hommes doivent toujours être proportionnés aux choses. Devant la convention, son ami Lecomte-Puyraveau eut le courage de solliciter pour lui la faveur accordée à Anselme, à Ferrand, c’est-à-dire qu’on convertit sa détention à l’Abbaye en détention chez lui : quelqu’un s’y opposa et la question préalable fut adoptée. Dès lors Biron ne songea plus qu’à bien mourir. « Il y a trop longtemps que ces gens-là m’ennuient, disait-il à Beugnot, ils vont me faire couper le cou, mais du moins tout sera fini. » Lorsqu’il comparut devant le tribunal révolutionnaire connue suspect d’avoir favorisé les vendéens, on lui demanda son nom ; il répondit : Chou, navet, Biron, comme vous voudrez ; tout cela est fort égal. — Comment ! s’exclamèrent les juges, vous êtes un insolent ! — Et vous des verbiageurs ; allez au fait ; « guillotiné, » voilà tout ce que vous avez à prononcer, et moi je n’ai rien à répondre. » Quand il quitta les autres prisonniers, il les salua avec une dignité chevaleresque et leur dit : « Ma foi ! mes amis ! c’est fini ! je m’en vais ! » Et son intrépidité ne se démentit pas un instant ; il buvait deux bouteilles de vin blanc et mangeait des huîtres au moment où