Page:Revue des Deux Mondes - 1889 - tome 95.djvu/654

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

la dénonciation de ce complot à Versailles, et, pour se donner de l’appui, adressa au valet de chambre de la favorite une lettre d’une écriture contrefaite, qui commençait par ces mots : « Foy de gentilhomme, il y a 100,000 écus pour vous si vous empoisonnez votre maitresse… « Il espérait obtenir de la sorte un bon emploi ou la réussite d’un projet qu’il avait fait sur le commerce.

Intelligens l’un et l’autre, instruits et entreprenans, Danry et Allègre étaient faits pour s’entendre d’autant mieux que le maître de pension, très supérieur à son camarade, le dirigeait. Les années que Danry passa en compagnie d’Allègre exercèrent sur toute sa vie une influence si grande, que le lieutenant de police Lenoir put dire un jour : « Danry est le tome n d’Allègre. » Les lettres de ce dernier, qui nous sont conservées en grand nombre, témoignent de l’originalité et de la vivacité de son esprit : le style en est fin et rapide, du français le plus pur, les idées exprimées ont de la distinction et sont parfois singulières sans être extravagantes. Il travaillait sans cesse et fut, tout d’abord, ennuyé d’avoir un compagnon. « Donnez-moi, je vous prie, une chambre en particulier, écrit-il à Berryer, même sans feu ; j’aime à être seul, je me suffis à moi-même, parce que je sais m’occuper et semer pour l’avenir. » C’était une nature mystique, mais de ce mysticisme froid et amer que nous trouvons quelquefois chez les hommes de science, les mathématiciens en particulier. Car Allègre étudiait principalement les mathématiques, la mécanique, la science des ingénieurs. Le lieutenant de police lui fit acheter des ouvrages traitant de la conduite des fortifications, de l’architecture civile, de la nouvelle mécanique, des travaux hydrauliques. Le prisonnier les consultait pour rédiger des mémoires sur les questions les plus diverses, qu’il envoyait au lieutenant de police dans l’espoir qu’ils lui procureraient sa liberté. Ces mémoires, que nous possédons, montrent encore l’étendue de son intelligence et de son instruction. Danry l’imita dans la suite en cela comme en tout le reste, mais grossièrement. Allègre était également très habile de ses doigts, dont il faisait, disent les officiers du château, tout ce qu’il voulait.

Allègre était un homme dangereux : les porte-clés en avaient peur. Quelque temps après son entrée à la Bastille il tomba malade ; un garde fut placé près de lui ; les deux hommes firent mauvais ménage. Allègre envoyait à la lieutenance de police plaintes sur plaintes. On fit une enquête qui ne fut pas défavorable au garde-malade, et celui-ci fut laissé auprès du prisonnier, lorsqu’un matin, le 8 septembre 1751, les officiers de la Bastille entendirent dans la tour du Puits du tapage. Ils montèrent en hâte et trouvèrent Allègre occupé à percer d’un couteau son compagnon qui venait