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la volaille, qu’elle soit piquée. » C’est qu’il n’était pas lui, Danry, un homme du vulgaire, « de ces gens que l’on met à Bicêtre. » Et il prétendait qu’on le traitât d’une manière qui lui convint.

Il en était de même pour les vêtemens. On s’étonne devant les listes de hardos que la lieutenance de police lui faisait confectionner. Pour le satisfaire, l’administration ne reculait pas devant les dépenses les plus déraisonnables, et c’est en vendant ces effets que Danry se procura dans ses différentes évasions une partie de l’argent qui lui était nécessaire. Il soutirait de rhumatismes, aussi lui est-il fourni des robes de chambre doublées de peau de lapin, des vestes doublées de peluche de soie, des gants et des bonnets fourrés et de bonnes culottes en peau épaisse. Dans ses Mémoires Danry traite tout cela de « lambeaux à moitié pourris. » Le malheureux commissaire de Rochebrune, chargé de fournitures aux prisonniers, ne sait comment le contenter : « vous m’avés chargé, écrit-il au major, de faire faire une robe de chambre au sieur Danry, qui veut une calemande fond bleu à rayes rouges. J’en ay fait chercher chez douze marchands qui n’en ont point et qui se garderaient bien d’en avoir parce que ces sortes de calemande ne seraient point de débit. Je ne vois point de raison de satisfaire les goûts fantasques d’un prisonnier qui doit se contenter d’une robe de chambre chaude et commode. » D’ailleurs Danry sait se plaindre lui-même. « Je vous prie, écrit-il au gouverneur, d’avoir la bonté de dire mot pour mot à M. de Sartines, que les quatre mouchoirs qu’il m’a envoyés sont bons pour donner à des galériens et que je n’en veux point ; mais que je le prie d’avoir la bonté de m’accorder six mouchoirs d’indienne à fond bleu et grands et deux cravates de mousseline. « Il ajoute : « S’il n’y a pas d’argent au trésor, qu’on en demande à la marquise de Pompadour. »

Le 1er septembre 1759, Danry fut tiré du cachot et remis dans une chambre claire. Il écrivit aussitôt à Bertin pour le remercier et lui annoncer qu’il lui envoyait deux colombes. « Vous avez du plaisir à faire le bien, je n’en aurai pas moins que vous, monseigneur, si vous m’accordez le bonheur de recevoir cette faible marque de ma grande reconnaissance.

« Tamerlan se laissa désarmer par un panier de figues que les habitans d’une ville qu’il allait assiéger lui firent présent. Mme la marquise de Pompadour est chrétienne, je vous supplie de me permettre de luy en envoyer aussi à elle une paire, peut-être qu’elle se laissera toucher par ces deux innocens pigeons. »

Voici la copie de la lettre qui les accompagnera :

« Madame, deux pigeons venoient tous les jours manger le grain de ma paille, je les pris, ils m’ont fait des petits. J’ose prendre la