Page:Revue des Deux Mondes - 1889 - tome 95.djvu/67

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

particulièrement dans la classe des beaux-arts, on pouvait croire définitivement close l’ère des changemens plus ou moins radicaux, des réformes alternativement prescrites et désavouées.

Aussi les nouveaux élus, comme ceux dont ils étaient devenus les confrères, ne songeaient-ils qu’à se conformer de leur mieux aux conditions qui leur étaient actuellement faites et à prendre en main, suivant les cas, soit la direction des affaires de l’art en général, soit les intérêts particuliers des jeunes artistes que les récens événemens avaient forcément détournés de leurs études ou dépossédés de certains droits, C’est ainsi que, à la prière de deux jeunes architectes dont l’un, M. Hittorf, devait, trente-huit ans plus tard, être appelé à siéger parmi les membres de l’Académie des beaux-arts, la quatrième classe intervenait auprès du ministre de l’intérieur, Carnot, pour obtenir que ces jeunes gens, nés l’un et l’autre sur un territoire qui, en 1814, avait cessé d’être annexé à la France[1], fussent autorisés, malgré la perte de leur nationalité, à participer au concours ouvert pour le grand prix de Rome ; c’est ainsi encore qu’elle accordait à un autre de ses futurs membres, à Léon Cogniet, comme aux peintres admis à concourir avec lui, quelques jours supplémentaires de travail, en compensation de ceux que leur avait pris le service, très actif à cette époque de crise, de la garde nationale. En même temps, elle renouait avec le directeur de l’Académie de France à Rome la correspondance régulière que la suspension ou le retard des envois l’avait forcée d’interrompre, sans parler de certaines circonstances fort étrangères à l’art qui n’avaient pas laissé de rendre assez difficile la situation à Rome du directeur et celle des pensionnaires.

L’artiste chargé alors des fonctions que Suvée avait remplies tant bien que mal jusqu’en 1807, était Lethière, auteur du grand tableau, aujourd’hui au Louvre, la Mort des fils de Brutus. Quoique, à l’époque de sa nomination, Lethière n’appartint pas encore à l’Institut, et que, malgré le succès de l’ouvrage susmentionné, sa réputation personnelle n’eût pas à beaucoup près l’éclat de celle qu’avaient acquise David, Regnault, et même des peintres plus récemment entrés dans la carrière, le choix de la quatrième classe s’était porté sur lui parce qu’on le savait homme à couper court aux abus que la faiblesse de Suvée avait laissé s’introduire à la villa Médicis et, en cas de troubles extérieurs, à faire respecter l’indépendance du grand établissement dont il aurait la garde. La confiance, qu’il avait inspirée ne tarda pas à être justifiée ; elle

  1. M. Hittorf, alors âgé de vingt et un ans, était né à Cologne, devenu en 1801 chef-lieu d’arrondissement dans le département de la Röer.