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première ville de l’Amérique méridionale, Buenos-Ayres, centre d’un commerce qui se chiffre, à l’importation et à l’exportation, par un total annuel d’un milliard de francs, entretient avec l’Europe un mouvement d’échanges des plus actifs. Ville essentiellement cosmopolite, où affluent les émigrans, où affluent aussi, depuis 1868, date de son premier emprunt à l’étranger, les capitaux de l’Europe, qui déjà a prêté à la République Argentine plus de 1,325 millions de francs, Buenos-Ayres est aussi le plus important marché financier de l’Amérique du Sud. Jamais, à aucune époque, on ne vit un peuple jeune et entreprenant se lancer avec autant de hardiesse que Je peuple argentin dans la voie des gigantesques entreprises, des grands travaux d’utilité publique, aborder aussi résolument les questions les plus compliquées, contracter, en aussi peu d’années, des dettes aussi énormes, eu égard au chiffre de sa population, et justifier autant d’audace par autant de succès. De 1861 à 1888, sa dette publique, tant intérieure qu’extérieure, s’est élevée de 92 millions à 2,800 millions de francs ; mais, dans ce même laps de temps, sa population passait de 1,500,000 a près de 4 millions d’habitans ; ses revenus, de 75 millions à 300 millions.

Nantie des énormes capitaux que l’emprunt lui fournit, la République Argentine sillonne son immense territoire de 10,000 kilomètres de voies ferrées, rejetant au loin l’Indien, mettant à la disposition de ses nouveaux colons 30,000 lieues carrées de terre, sans valeur la veille, estimées aujourd’hui 2 milliards, en attendant qu’elle y ajoute l’immense territoire patagonien, soit 20,000 lieues carrées de plus et 10,000 autres dans le Grand-Chaco, au nord de la république.

Formidable poussée qui, du coup, a porté la République Argentine au premier rang des états sud-américains, tant au point de vue commercial et financier qu’au point de vue de l’immigration, et qui, de chacun de ses créanciers étrangers, lui a fait un partisan, intéressé à son rapide développement, saluant de ses applaudissemens chacun de ses pas en avant. C’est par centaines de mille que se comptent les émigrans italiens, français et espagnols établis dans le pays ; c’est par milliers aussi que se comptent les spéculateurs enrichis par la hausse subite des terres qui, de 2,000 francs la lieue carrée, prix auquel le gouvernement les avait cédées en 1877, valent aujourd’hui de 20,000 à 100,000 francs et tendent encore à augmenter de valeur.

Le mécanisme financier, emprunté de toutes pièces aux États-Unis, et qui ne compte guère plus de dix années d’existence, correspond aux visées les plus hautes et repose sur les bases les plus larges. Quarante et une banques, constituées à un capital total