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la langue française, de Joachim du Bellay, — l’erreur dont les grands classiques du XVIIe siècle n’ont eux-mêmes été préservés que par leur génie, par la condition d’absolue sincérité dans laquelle ils ont tous écrit, par la force enfin de leur individualité. Le classicisme a confondu les « lois » ou « conditions » avec les « règles » des genres.

Le classicisme a très bien vu que les genres ont leurs lois, — et il le faut bien, puisqu’elles sont contenues dans leur définition même ; — mais il a cru que ces lois pouvaient servir de règles. Parce que la présence de certaines qualités dans les œuvres en faisait le prix et la beauté, il a cru qu’on pouvait les détacher des œuvres. Tel un homme qui, pour imiter les succès d’un grand politique ou d’un grand conquérant, en prendrait le costume, — la robe rouge de Richelieu, la redingote grise de Napoléon, — qui en imiterait l’hygiène, qui tousserait et qui cracherait comme eux, qui façonnerait enfin sa personne à leur image, et qui croirait ainsi créer en soi l’aptitude intérieure dont les allures du corps sont, ou passent pour être la traduction physique. Le classicisme s’est trompé d’abord sur le caractère unique, inimitable de l’œuvre de génie. Faute d’un peu de chimie, si l’on peut ainsi dire, il a cru que, pour reproduire une combinaison, il suffisait, après en avoir dissocié les élémens par l’analyse, de les rapprocher. Et faute d’un peu d’histoire naturelle, il s’est trompé sur un autre point : il a cru que les genres sont fixes ; il n’a pas vu qu’au contraire, comme les espèces dans la nature, ils sont toujours en mouvement ; que la même quantité de vie se transforme à d’autres usages ; et qu’en littérature comme ailleurs une lente évolution travaille incessamment, dans la profondeur de l’être et dans la nature environnante, à faire sortir le contraire du semblable.

Si les hommes du XVIIe siècle, pour toute sorte de raisons, ne pouvaient guère s’en douter, ceux du XVIIIe siècle auraient pu commencer de s’en apercevoir. A la vérité, Voltaire, presque plus classique et plus superstitieux que Voileau, mais plus habile et plus « malin » aussi, s’était avisé d’un terrible argument contre ceux qui se plaignaient de la contrainte des règles. Il disait qu’en s’émancipant des obligations que les Racine ou les Molière avaient docilement subies, on se rendait d’abord suspect de pouvoir moins qu’eux, dans un art où l’on prétendait rivaliser avec eux.. Mais, comme cette plaisanterie n’avait pas rendu les règles plus larges ni par conséquent moins gênantes, elle n’avait pas non plus empêché les novateurs de se produire, et l’opinion de les encourager. Parmi ces novateurs, M. Pellissier en nomme trois du nom de « précurseurs » ou d’ « initiateurs » : ce sont Rousseau, Diderot et Chénier.

Passons rapidement sur Chénier. Son œuvre est posthume ; et