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chemin. Ce sera, dans tous les cas, une expérience curieuse à suivre si on la tente ; et, si on ne la tente pas, ou si, après avoir essayé de se réunir, les partis qui sont aujourd’hui au pouvoir se divisent de nouveau, le ministère est exposé à traîner jusqu’aux élections générales, qui jugeront peut-être sévèrement sa politique à l’égard de l’Irlande aussi bien que sa politique extérieure.

Au moment cependant où la plupart des états de l’Europe sont si occupés et de leurs affaires intérieures et des voyages de leurs princes, et de l’incohérence de toutes les relations, voilà un congrès qui vient de se réunir de l’autre côté des mers, à Washington, pas plus tard qu’il y a huit jours, pour accomplir la plus vaste, la plus chimérique des œuvres. C’est un congrès, comme on n’en voit pas, où toutes les républiques du Nouveau-Monde sont convoquées pour régler, sous les auspices de M. Blaine ; secrétaire d’état du président Harrison, toutes les affaires du continent américain du nord et du sud. C’est une idée qui ne date pas d’aujourd’hui. Elle avait été conçue ou plutôt formulée par M. Blaine lui-même à son premier passage au pouvoir il y a près de dix ans. Elle avait été recueillie parle dernier président, M. Cleveland, qui en a préparé la réalisation avec une sage lenteur. Elle est aujourd’hui en pleine exécution par le congrès réuni sous la présidence de M. Blaine, redevenu secrétaire d’état tout exprès pour recevoir à Washington les représentans de toutes les républiques américaines. Au fond, c’est, sous une forme diplomatique, l’idée de l’hégémonie depuis longtemps revendiquée par les hommes d’état américains pour la grande république du Nord dans tout le Nouveau-Monde. À première vue, à ne considérer que les programmes, il ne s’agirait de rien moins que d’organiser une sorte de vaste Zollverein enlaçant tous les états des deux Amériques, de créer entre eux un même système postal, un même système monétaire, un ensemble de communications coordonnées, de constituer en un mot l’alliance de toutes les forces économiques et commerciales du Nouveau-Monde sous la haute suzeraineté de l’Union américaine. C’est un grand rêve ! Il est certain que, si ce rêve était une réalité, ce serait une menace singulièrement redoutable pour l’Europe, qui se trouverait en face d’une puissance démesurée, régulatrice de toutes les relations. Il y aurait de quoi s’émouvoir d’une démonstration qui pourrait avoir les plus graves conséquences pour le commerce de tous les pays. Heureusement on n’en est pas là. Entre tous ces états grands ou petits, réunis en conférence internationale pour créer un droit nouveau, il y a assez d’incompatibilités de races et de traditions, assez d’antagonismes d’intérêts, assez de divisions et de rivalités pour que la fusion ne soit point aisée. D’abord, il a été convenu que dans la réunion on ne s’occuperait pas de politique ; il a été entendu de plus que les décisions du congrès n’auraient aucune sanction,